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Mediapart
À Bruxelles, le nucléaire entre rêve de renaissance et déni de réalité
#nucleaire #UE
Article mis en ligne le 24 mars 2024
dernière modification le 22 mars 2024

Au premier sommet de l’énergie nucléaire, une trentaine de pays se sont engagés à en « déverrouiller le potentiel ». Mais pour tripler les capacités mondiales d’ici 2050, il faudrait construire mille réacteurs en moins de 30 ans, un objectif irréaliste.

(...) des banderoles réclament plus de nucléaire pour sauver le climat. Derrière se dresse, vertigineuse, la silhouette de l’Atomium, monument à la gloire du nucléaire civil, sculpté en forme d’assemblage géant de molécules.

« Nous nous engageons à œuvrer pour entièrement déverrouiller le potentiel de l’énergie nucléaire », annonce, quelques heures plus tard, la déclaration finale endossée par les 37 délégations nationales qui ont fait le déplacement pour participer à la rencontre. C’est le « premier sommet nucléaire de l’histoire à réunir autant de chefs d’État et de gouvernement », et c’est « une rencontre historique », s’est réjoui Rafael Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). (...)

Financement du prolongement des réacteurs existants, construction de nouvelles centrales – y compris les petits SMR –, appels du pied aux banques de développement, éloge de la dépense publique et des garanties d’emprunt, inclusion du nucléaire dans les critères environnementaux de la finance internationale : dans la déclaration finale, les termes sont précis et les formulations pesées pour satisfaire la communauté des « dirigeants de pays exploitant des centrales nucléaires, ou développant ou démarrant ou explorant l’option de l’énergie nucléaire ». (...)

Mais pas un mot sur l’uranium russe pourtant utilisé dans les centrales européennes. Rien sur la colère du président ukrainien Volodymyr Zelensky contre le refus de l’Europe d’étendre les sanctions contre la Russie au domaine nucléaire. Et silence sur la fracture grandissante entre la France, pays le plus nucléarisé au monde, et l’Allemagne, qui a achevé sa sortie de l’atome. Le chef de l’AIEA ne veut pas en conférence de presse « différencier le bon nucléaire du mauvais nucléaire. Ce n’est pas ce dont nous avons besoin. Le combustible russe est là. N’utilisons pas le nucléaire comme une arme politique ».

Vers 11 heures, l’arrivée d’Emmanuel Macron est préparée telle celle d’une star. (...)

C’est le seul dirigeant international à bénéficier d’un tel traitement – mais aussi le seul chef d’État à s’être déplacé.

Il s’offre une arrivée royale et s’attarde devant micros et caméras. (...)

« ce qui est sûr, c’est que le nucléaire n’a jamais dans l’histoire, depuis 70 ans qu’il existe, fourni plus de 3 % de l’énergie finale consommée dans le monde », analyse Yves Marignac, consultant en énergie et expert de l’institut négaWatt, spécialisé en transition énergétique.

Il rappelle qu’un tiers seulement de l’énergie produite par les réacteurs nucléaires devient de l’électricité – les deux tiers sont perdus sous forme de chaleur – et que l’électricité ne représente que 23 % de l’énergie consommée dans le monde. « En réalité, le nucléaire, c’est aujourd’hui à peine un quart de l’électricité décarbonée dans le monde, mais c’est environ huit fois moins que l’ensemble de l’énergie fournie par les renouvelables. »

Quant à l’idée de tripler les capacités nucléaires dans le monde, l’expert indépendant Mycle Schneider se dit très sceptique. (...)

La Chine et la Russie, leaders mondiaux du nucléaire (...)

la Chine et la Russie, absentes du sommet de Bruxelles, « dominent complètement la statistique », ajoute Mycle Schneider : « Au cours des quatre dernières années, il n’y a pas eu un seul début de construction de réacteur nucléaire dans le monde qui ne soit implanté en Chine ou mis en œuvre par la Russie », qui est devenue le leader mondial de la vente de réacteurs dans le monde. (...)

Pour simplement maintenir le nombre de réacteurs en service d’ici 2050, compte tenu du vieillissement des installations, il faudrait en démarrer dix nouveaux chaque année. Et pour mettre en œuvre le triplement des capacités nucléaires d’ici 2050, il faudrait construire et mettre en service 1 000 réacteurs supplémentaires au cours des vingt-sept prochaines années. « C’est tout simplement impossible sur le plan industriel, en déduit Mycle Schneider, pour qui cet engagement est « étonnamment creux mais véritablement trompeur » et « entretient la confusion des citoyen·nes sur l’état, les capacités, les tendances et les perspectives de l’industrie nucléaire dans le monde ». (...)