
Non-respect du contrat d’engagement républicain. C’est la justification, inédite en Bretagne, apportée par le sous-préfet de Brest au retrait d’une subvention à la télé associative Canal Ti Zef. Le média y voit une sanction politique liée à son implication auprès de l’Avenir, un squat culturel rasé sous escorte policière durant l’été 2023. Cette piste est d’autant plus sérieuse que trois autres associations ayant soutenu ou relayé cette lutte viennent également de perdre un financement de l’État.
(...) « Sur le fond, cette subvention vous a été refusée, car un certain nombre d’informations qui m’ont été communiquées par mes services démontraient que certains aspects du fonctionnement de votre association étaient incompatibles avec le contrat d’engagement républicain que vous avez pourtant signé par ailleurs », cingle, pour toute explication, Jean-Philippe Setbon, sous-préfet de Brest, dans une réponse envoyée le 4 janvier (lire aussi sous cet article).
La signature du contrat d’engagement républicain est imposée aux associations qui sollicitent des subventions depuis son entrée en vigueur en 2022. Elle découle de la loi dite « séparatisme », présentée par le gouvernement comme un instrument de lutte contre l’islamisme. Ce dispositif est contesté depuis son origine par des organisations comme la Ligue des droits de l’Homme, qui y voient un « moyen de pression contre le pluralisme politique ». (...)
L’Avenir, c’est l’histoire dans l’histoire. Un squat culturel monté par des habitants hostiles à l’embourgeoisement du quartier Saint-Martin, haut-lieu de la vie estudiantine. Il doit son nom à une salle des fêtes historique dont la destruction par la communauté urbaine de Brest en 2010 avait indigné les riverains.
La mairie porte différents projets pour ce site : une résidence senior, un immeuble locatif privé, puis la création d’une crèche. Mais le collectif Pas d’avenir sans Avenir souhaite maintenir un lieu ouvert aux associations du quartier, « loin des logiques marchandes et des perspectives gestionnaires ».
Après plusieurs années de concerts, d’ateliers et de repas pour les exclus de tous horizons, Brest Métropole hausse le ton pour récupérer le terrain. En 2023, une médiation confiée à un cabinet privé n’aboutit pas. Arguant d’un risque pour la sécurité des usagers, les élus obtiennent l’expulsion des occupants en référé. Gendarmes mobiles, policiers et membres du Raid dispersent les plus récalcitrants à coup de grenades lacrymogènes, au petit matin du 27 juillet. Les barricades montées à la hâte ne résistent pas à l’assaut et une entreprise de BTP fait table rase des bâtiments.
Après une telle débauche de moyens, voir l’Avenir renaître une nouvelle fois de ses cendres constituerait un camouflet pour les autorités.
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Trois autres associations de la cité portuaire, Radio U, Ekoumène et le Patronage laïque Guérin, ont, elles aussi, appris que leur subvention, au titre du FDVA, avait finalement été retirée sur décision du préfet. La première est un média étudiant, la deuxième une salle rattachée à un habitat participatif et la troisième un centre culturel de type MJC. (...)
Les quatre associations sont appuyées par le Mouvement associatif de Bretagne. Lors de la dernière réunion de la commission régionale du FDVA (Fonds pour le développement de la vie associative), le président de cette confédération, Thierry Abaléa, n’a pas mâché ses mots contre « une décision obscure d’un préfet qui, agissant comme un prince dans son royaume, s’autorise à rayer d’un trait de plume, sans explication, sans motif l’attribution d’une subvention qui pourtant avait obtenu des avis favorables tout au long du processus d’instruction ».
« À notre connaissance, c’est une première en Bretagne », s’inquiète Thierry Abaléa, dont l’organisation réclame la suppression du contrat d’engagement républicain « qui risque de mettre sous tutelle le monde associatif » (...)
Or, les exemples d’associations qui perdent des subventions parce qu’elles ont un lien tenu et indirect avec des collectifs engagés dans une désobéissance civile commencent à s’accumuler. « Le contrat d’engagement républicain est en train d’ouvrir une grande porte à l’État pour s’immiscer dans le fonctionnement des associations. Souvent à des fins politiques. » (...)
L’équipe de Canal Ti Zef envisage de porter l’affaire en justice.