
de retour dans leur pays après avoir l’échec de leur installation en France. Avec le programme d’aide au retour volontaire mis en place par l’Office français d’immigration et d’intégration (Ofii), ils ont pu rentrer "dignement" et reprendre en main leur vie professionnelle. Reportage.
(...) "Je pensais avoir une vie merveilleuse en France"
Il faut dire que l’histoire de Sie, qui a grandi dans la pauvreté, n’a pas de diplôme, n’a pas fait d’études supérieures dans un pays où le chômage tourne autour de 26%, aurait pu tourner bien différemment sans le coup de pouce de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).
Alors que son "visa long séjour" en France va bientôt expirer, le jeune homme qui avait rejoint son père via un regroupement familial en 2023, se retrouve à la porte du domicile familial, à Grigny, en région parisienne. "Mon père m’a viré de la maison. Je me suis retrouvé à la rue", dit-il - évoquant simplement un homme "agressif" et "maltraitant". "J’étais seul là-bas. Et la France quand on ne la connaît pas, qu’on n’a pas de relations, c’est très dur".
Grâce à une association, il entend parler de l’Ofii et de son programme de retour volontaire. Avant même de recevoir une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), il demande à rentrer. "Ils m’ont fait revenir au pays et m’ont aidé à financer ce projet de salon à Abobo", un quartier populaire d’Abidjan où la concurrence est rude : des échoppes de coiffeurs - aussi petites que celles de Sie - sont visibles tous les 50 mètres (...)
De nouveaux profils de "retournés" traumatisés par la route migratoire
Adossé au mur du salon de DSP coiffure, Christophe Gontard, le directeur de l’Ofii à Abidjan pose un regard protecteur sur Sie. "C’est un jeune qui s’en sort bien", observe-t-il, assurant que ses équipes "le suivent régulièrement" pour que son "affaire continue de bien tourner". (...)
Depuis son installation en Côte d’Ivoire en juillet 2023, l’Ofii - qui dépend du ministère de l’Intérieur français - s’est occupé de 265 dossiers comme celui de Sie, dans la région (Bénin, Togo, Mali, Burkina Faso) dont 80 pour la seule Côte d’Ivoire.
Les Ivoiriens figurent dans le top 10 des demandeurs d’asile en France, or beaucoup voient leur dossier rejeté. L’objectif de l’Ofii à Abidjan est à peine voilé depuis Paris. "Faire baisser l’immigration irrégulière en France", soulignait Didier Leschi, le directeur général de l’instance, après l’inauguration en novembre des locaux ivoiriens. Et pour cela, miser sur le retour aidé qui coûte moins cher à la France que le retour forcé. "Il faut rendre le dispositif du retour volontaire plus attractif", avait même déclaré Pierre Moscovici, premier président de la cour des Comptes en avril 2024.
De son côté, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’instance en charge des dossiers de protection internationale en France, indique que 8 000 nouvelles demandes d’Ivoiriens ont été déposées en 2024. C’est 1 000 de plus que l’année passée. Un chiffre qui augmente mais qui n’explose pas. (...)
Ce qui change en revanche, ce sont les profils des "retournés", aussi appelés "maudits" dans leur pays, confesse Christophe Gontard. Les bénéficiaires ne sont plus tout à fait les mêmes qu’avant.
"Il y a encore un an, nous accompagnions des Ivoiriens qui étaient venus légalement en France puis qui étaient tombés en situation irrégulière pour des non-renouvellements de visas. On voyait aussi des étudiants qui n’avaient pas réussi à convertir leur titre de séjour ’étudiant’ en titre de séjour ’salarié’, des profils, comment dire... peu traumatisés", explique Christophe Gontard. "Mais aujourd’hui, la majorité des Ivoiriens que nous accompagnons sont venus illégalement. Ils sont polytraumatisés, ils ont eu un parcours d’exil terrible émaillé de violences, de tortures, beaucoup ont traversé la Méditerranée. Ce sont des profils ’fracassés’, très fragiles".
L’Office a donc adapté son programme de réinsertion : il finance toujours les projets de retour avec un encadrement dispensé par des "prestataires". Mais "on personnalise davantage nos rapports avec les bénéficiaires", détaille Christophe Gontard. (...)
"On oriente ces jeunes, sans expérience professionnelle, sans bagage scolaire, vers des formations professionnelles plutôt que vers le secteur du commerce qui, on le sait, pourrait mener à la faillite très vite, parce qu’ils n’ont pas les compétences pour être entrepreneurs... Il y a aussi ceux qui rentrent au pays déconnectés de la réalité parce qu’ils sont partis cinq ans, sept ans. Ils veulent aller vers la facilité et monter un business". (...)
Même s’ils sourient beaucoup face aux journalistes, Nazaire et Sie ont confié avoir craint les "moqueries" en rentrant de France. Ils se sont aussi inquiétés de la réaction de leur proches et des "jalousies" qu’auraient pu susciter le pécule reçu par la France. "Finalement, ça s’est bien passé, je n’ai pas eu de problèmes", confie sobrement Nazaire.
"Moi, j’ai eu peur de rentrer et d’être moqué", reconnaît Sie, le jeune coiffeur qui affiche pourtant beaucoup d’assurance. "J’avais peur qu’on dise : ’Regardez, il est parti en France et il est revenu sans rien’. Mais je suis rentré, et aujourd’hui je vois des clients dans mon salon. Et ça, ça me rend fier."