
Jérémie Zimmerman, un des fondateurs de la Quadrature du Net, qui défend les droits et libertés sur Internet, montre comment les gouvernements américains et français, tentent, éventuellement avec succès, de faire peser sur les entreprises privées la responsabilité de la censure.
WikiLeaks est devenu un emblème de l’information qui dérange et qu’on ne peut arrêter. Les déclarations récentes à son propos exposent de façon flagrante la volonté des gouvernements de contrôler Internet. Dès lors, il semble que deux camps s’affrontent dans un combat qui pourrait être l’un des plus importants que nous ayions à mener pour l’avenir de nos démocraties.
D’un côté, ceux qui veulent mettre Internet en coupe réglée afin de rester au pouvoir, par la censure administrative ou privatisée. De l’autre, l’ensemble des citoyens du monde, prêts à assumer des sociétés en réseau dans lesquelles le partage de la connaissance, la liberté d’expression et la transparence accrues que permet Internet doivent être protégés et renforcés à tout prix. (...)
Le cas WikiLeaks serait en soi inquiétant s’il était un phénomène isolé. Hélas, cette censure insidieuse d’un pouvoir politique instrumentalisant les intermédiaires techniques d’Internet est déja en train de se déployer à grande échelle. En Europe, avec la directive « protection de l’enfance » bientôt débattue au Parlement européen, et en France avec l’article 4 de la Loppsi (3), ce procédé se trouve institutionnalisé au prétexte de la lutte contre la pédopornographie, contre laquelle il se révèle parfaitement inefficace. L’autorité administrative est ainsi peu à peu légitimée dans le rôle de censeur du Net : mis entre les mains des gouvernements, de tels dispositifs pourront par la suite être facilement étendus à d’autres domaines.
Au niveau international, c’est par le biais d’un accord commercial multilatéral, l’Acta (4), que certains dirigeants entendent permettre aux géants du divertissement de faire pression sur les intermédiaires d’Internet pour faire filtrer ou retirer, de façon plus ou moins automatique, des contenus qu’ils déclareront en infraction avec leurs droits d’auteur. (...)
(...) Dans le cas de WikiLeaks, les réactions des gouvernements, affolés par ce moyen de communication qui leur échappe, se sont heurtées à une levée de boucliers de citoyens qui se sont immédiatement organisés en ligne pour contourner la censure, en créant des centaines de sites « miroirs » qui sont et resteront accessibles. La tentative de censure de WikiLeaks en aura ironiquement fait l’un des sites les plus résilients d’Internet.
Cet épisode démontre donc que les citoyens en réseau peuvent efficacement coopérer pour s’opposer aux inquiétantes dérives de gouvernements et d’entreprises qui, pour conserver leur pouvoir, tentent de contrôler Internet. Il convient désormais de prolonger cette dynamique afin de contrer toutes les velléités, étatiques ou privées, d’entamer notre liberté d’expression en ligne. Le futur de nos démocraties est en jeu.