
Alors que la canicule se poursuit, vendredi 28 juin, reportage dans un bidonville de Créteil, en banlieue parisienne, où vivent près de 80 Roms dans des cabanes de fortune
Boire régulièrement. Maintenir sa maison au frais. Mouiller son corps et se ventiler. Éviter les efforts physiques… À l’évocation des recommandations du ministère de la santé, Ana (1) sourit d’un air incrédule. D’un geste circulaire de la main, la jeune femme montre ses conditions de vie. Là où elle habite, il n’y a pas de robinet, encore moins de douche, ni de toilettes. Pas de volets non plus. Et il faut faire 15 minutes de marche pour aller chercher de l’eau dans un parc, avec des bidons de 20 litres…
La cabane où dort cette toute jeune mère avec son compagnon et ses trois enfants est la première à droite à l’entrée du bidonville rom de Créteil, dans le Val-de-Marne. Construite sur des palettes, pour mettre la famille à l’abri des rats, sa maison, parfaitement rangée, tient en une pièce d’une dizaine de mètres carrés, avec deux grands lits, un poêle fait avec un bidon et un tuyau d’évacuation, et une grande commode récupérée dans la rue. Les murs, recouverts de tentures, sont en planches de contreplaqué. Le plafond, décoré d’affiches montrant des vaches paissant dans l’herbe fraîche, est charpenté de bois et recouvert d’une bâche.
Dans les bidonvilles, les expulsions ont continué malgré la trêve hivernale (...)
En face, de l’autre côté du terrain, la recherche d’ombre est plus compliquée. Dans une baraque, Iona désigne le thermomètre en bois sculpté qui est accroché au mur. Ce jeudi matin, alors que le mercure est loin d’avoir atteint son maximum de la journée, il fait déjà 30°C à l’ombre. Posé tout nu au centre d’un grand lit, le tout petit Andrei agite ses pieds minuscules, pendant que la jeune grand-mère lui administre les soins du cordon ombilical. Andrei est né il y a tout juste sept jours à l’hôpital intercommunal de Créteil. Cette semaine-là, il y a eu trois naissances dans les familles du bidonville.
En cette matinée de canicule, le « platz » (bidonville en roumain) semble tourner au ralenti. « La nuit, il fait trop chaud, on n’arrive pas à dormir et le jour on garde les bassines d’eau pour les bébés », explique Maria, 15 ans, qui allume le gaz sous une casserole. Sur des canapés sortis à l’ombre, des hommes cherchent un peu de repos. Certains, nous dit-on, sont partis chercher de la ferraille, dont le commerce nourrit la plupart des familles. (...)
Certes, le camp est propre, les déchets sont déposés dans des poubelles juste à l’entrée du camp, et les rongeurs n’y ont pas encore fait leur apparition, comme c’est le cas dans d’autres bidonvilles. Mais certains habitants ont du diabète, de la tension, du cholestérol, ou des maladies de peau. Et la chaleur rend la situation encore plus aiguë. (...)
Cette militante des droits des Roms, qui suit le dossier depuis quinze ans, soupire. Difficile de faire avancer les choses auprès des autorités quand il s’agit de cette communauté. Alex, 26 ans, qui est en formation rémunérée depuis janvier, a dû aller trois fois à la Sécurité sociale pour obtenir une carte vitale car son dossier avait été perdu. En attendant, il a dû payer près de 3 000 € de frais médicaux pour faire soigner son fils, qui a eu un grave accident de l’œil en janvier, et attend une opération de la cornée.
Expulsions à répétition
Si Alex et ses enfants ont pu être logés à l’hôtel depuis, les expulsions à répétition rendent compliqué tout travail de fond sur l’intégration. (...)
les familles savent que dès lors que l’huissier sera venu les aviser, elle pourra intervenir très vite.
Dans sa cabane, Iona serre les dents. « Qu’est-ce qu’on va faire avec les bébés si on doit encore partir ? » À côté d’elle, Monica, 7 ans, lâche le portable où elle regarde un film pour écouter attentivement. En mars, elle a commencé à aller en CP et est fière de montrer qu’elle sait compter en français. Et si elle n’est pas à l’école aujourd’hui, c’est uniquement en raison de la canicule. Après un bras de fer avec la mairie de Créteil, et l’intervention du Défenseur des droits, explique RomEurop94, une poignée d’enfants du bidonville ont ainsi pu être scolarisés. « S’ils doivent partir dans une autre commune, anticipe Aline Poupel, tout sera à refaire. »