
Youssef Badr, président de la 18e chambre au tribunal judiciaire de Bobigny, a dû juger, depuis la fin juin, de nombreux jeunes émeutiers en comparutions immédiates. Lui-même issu d’une cité du Val-d’Oise, il a créé, il y a deux ans, l’association la Courte-Echelle, pour venir en aide aux étudiants des cités. Comment a-t-il vécu ces derniers jours ?
À Bobigny, nous avons été confrontés, très soudainement, à un surcroît d’activité lié aux émeutes. Cela nous a obligés à mettre en place une audience supplémentaire de comparutions immédiates le samedi et à se partager entre différentes chambres les affaires nouvelles liées aux émeutes. Mais, à part ça, notre fonctionnement est resté classique. Nous avons réussi à faire face.
Avez-vous été surpris par les profils des prévenus ?
Oui. Habituellement, aux audiences de comparutions immédiates, vous pouvez avoir à juger toutes sortes de délits (vol, violences conjugales, violences avec arme, délits routiers, etc). Là, il s’agissait exclusivement de faits de violences aggravées, de vols ou encore de dégradations, et les prévenus étaient extrêmement jeunes. Ceux qui ont été présentés devant la chambre que je présidais, avaient entre 18 et 26 ans.
Ce qui m’a frappé, surtout, c’est la diversité de leurs profils. Certains étaient très insérés, en CDI, diplômés. D’autres, au contraire, étaient au chômage, sans activité. Certains étaient des multirécidivistes et d’autres, sans aucun antécédent avec la justice ou de la police. La question, pour chacun, étant évidemment de savoir s’il est coupable ou non. Quand les faits sont reconnus, bien sûr, cela pose moins de difficulté. (...)
Et quand ils ne le sont pas ?
Cela peut paraître surprenant mais dans tous les dossiers que j’ai eus à traiter, les réseaux sociaux nous ont fourni des éléments d’identification. Les jeunes se sont filmés en train de commettre leurs délits et ont ensuite posté ces images, sur Snapchat, principalement. Il m’est arrivé de retrouver en deux clics, sur Instagram, Twitter, ou TikTok, des scènes dont j’étais saisi comme juge.
Un délinquant chevronné ne fait pas ça…
En effet, un délinquant chevronné se cache pour commettre des délits. Souvent, ces jeunes expliquaient avoir agi sans réfléchir. Tous ont avancé la même explication : un sentiment d’injustice ancien et une volonté de se mêler au groupe. Et la plupart réalisent, après-coup, qu’ils ont fait une énorme bêtise. (...)
Au tribunal de Bobigny, les audiences offrent une certaine photographie de la banlieue. A-t-elle beaucoup changé depuis votre jeunesse ?
Les inégalités continuent d’y être criantes. C’est toujours très compliqué, pour un gamin de cité, d’accéder à des études supérieures. Surtout : l’image de la banlieue s’est encore dégradée en vingt ans. Le regard porté sur elle s’est durci. Mes copains d’enfance me disent souvent : on n’a pas confiance dans la justice parce qu’elle ne nous ressemble pas.
Il y a deux ans, vous avez créé l’association la Courte échelle…
Son but : aider les jeunes originaires de milieux plus modestes à accéder aux études supérieures et à les finir. La réussite, cela ne passe pas que par le sport. Kylian Mbappé, il n’y en aura qu’un. En revanche, si l’on veut avoir du poids dans la société, il faut accéder à de hautes fonctions. J’en viens. Je l’ai fait. Évidemment, c’est plus difficile. La discrimination existe.
Je suis peut-être différent de la plupart de mes collègues mais aujourd’hui, je le vis comme une force, pas comme un handicap. (...)