
Si la majorité des affaires de violences sexuelles sur mineurs sont classées sans suite, d’autres sont parfois jugées en comparution immédiate, même les plus graves. Enquêtes menées au pas de charge, droit des victimes bafoué… Avocats et magistrats dénoncent une procédure « expéditive ».
Mardi 1er mars 2022, 14 heures, audience des comparutions immédiates de Lille (Nord). Sylvain* se présente à la barre. Le matin même, le quadragénaire était entendu par les policiers de Tourcoing. Le voilà face à la présidente du tribunal, qui donne lecture des faits pour lesquels il est jugé : « Agression sexuelle sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité. »
Sylvain habite une maison de la conurbation lilloise avec sa compagne Marianne et leur fille de 6 ans. Après un licenciement en 2019, il obtient son agrément d’assistant familial pour devenir famille d’accueil. « Je voulais m’occuper des enfants placés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) », explique-t-il devant le tribunal.
Le service de placement familial commence par lui confier deux mineures et un jeune majeur pour de courts séjours. Puis vient le tour d’Auguste, début 2021. Le petit garçon a été remis à l’ASE pour des soupçons de maltraitance. (...)
Aux alentours de 21 heures, le 26 février 2022, Marianne affirme aux enquêteurs avoir « vu [Sylvain] pratiquer une fellation au petit », âgé de 3 ans et demi. Pris sur le fait, l’assistant familial tente, selon sa compagne, de « négocier » : il lui promet de « démissionner » et de ne voir leur fille que « sous [son] contrôle ». La mère reste inflexible.
À 12 h 50, le lendemain, Sylvain est placé en garde à vue et avoue. Depuis la loi du 21 avril 2021, « tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Lorsqu’il est perpétré par « une personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait », ce crime est passible « de 20 ans de réclusion criminelle ».
Une enquête au pas de charge (...)
En l’espace d’une matinée, le viol qu’a subi Auguste n’est plus considéré comme un crime passible de la cour d’assises : il est requalifié en « agression sexuelle », un délit puni de 10 ans d’emprisonnement maximum. Sylvain est déféré au parquet, en vue de sa comparution devant le tribunal correctionnel l’après-midi même. (...)
Quand s’ouvrent les débats devant le tribunal, « on ne sait à peu près rien de la personnalité » de Sylvain, note son avocat commis d’office, Me Julien Laurent. En audition, l’assistant familial a reconnu une « attirance » pour les enfants, qu’il a « toujours refoulée », mais affirme être passé à l’acte « une seule fois » : « Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête, je ne peux pas le définir », déclare-t-il. Son conseil demande un délai pour préparer sa défense. L’affaire est renvoyée un mois plus tard.
Les trop longs délais de la justice
Le parcours de Sylvain reste parsemé de zones d’ombre. Il a notamment officié comme bénévole dans un club de tir pour enfants âgés de 8 à 16 ans. Aucun membre de l’association sportive n’a été entendu. (...)
« Ce type d’affaires nécessite une instruction approfondie, commente Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), sans se prononcer sur le cas de Sylvain. Fouiller dans le passé d’un suspect, identifier d’autres victimes éventuelles, vous ne pouvez pas faire cela en deux jours. Mais il y a tellement d’années d’attente que des procureurs choisissent de circonscrire l’enquête à un fait particulier en se disant qu’au moins, ce sera jugé rapidement. » (...)
Les délais d’instruction en matière de violences sexuelles sur mineurs s’élèvent en moyenne à deux ans et demi, selon les statistiques du ministère de la justice. Puis il faut encore attendre près de deux ans en moyenne pour que le dossier passe devant un tribunal.
Sylvain, lui, a été condamné en quelques heures à quatre ans de prison ferme, auxquels s’ajoute un suivi socio-judiciaire de trois ans.
Sur les bancs de la partie civile comme de la défense, tous ont déploré qu’une telle affaire ait pu être jugée en comparution immédiate. Mais aucun ne s’y est opposé à l’audience, comme le droit le permet. (...)
De même, la mère de l’enfant n’a pas demandé la reprise des investigations. « Ce choix de la comparution immédiate, étrange du point de vue de l’intérêt de la société, nous paraissait, compte tenu des délais extrêmement longs d’une procédure d’instruction, conforme à l’intérêt de l’enfant et de ma cliente », affirme son avocat de l’époque, Me Grégoire Étrillard.
Ce raisonnement fait bondir l’avocate spécialisée dans la défense des victimes, Carine Durrieu-Diebolt : « Dire que les procédures sont trop longues, évidemment, tout le monde le déplore. Mais de là à renoncer à ses droits ? Ce serait une dérive extrêmement grave », dénonce la pénaliste, membre de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).
Comparutions immédiates mêmes pour les cas les plus graves
En l’absence de statistiques officielles, il est impossible de mesurer ce phénomène. Il apparaît cependant, à la lecture de la presse quotidienne régionale, que l’affaire de Sylvain n’est pas un cas isolé. Des tribunaux ont recours à la procédure de comparution immédiate pour tout type d’infraction sexuelle, même la plus grave. (...)