
Des aides financières existent pour bénéficier d’une isolation à prix réduit, mais de plus en plus d’entreprises peu scrupuleuses font du forcing pour vendre aux particuliers des travaux de très mauvaise qualité. Premier volet de notre enquête sur les dessous des offres d’isolation à 1 euro.
Michel ne décroche plus son téléphone. En dépit de son inscription sur Bloctel, cet habitant d’Ille-et-Vilaine reçoit en moyenne deux appels par jour depuis un an pour faire isoler ses combles ou son sous-sol « pour 1 euro ». Si cette offre peut sembler alléchante, de nombreuses entreprises se sont engouffrées dans le dispositif et multiplient les démarchages abusifs. « Souvent, quand on décroche, il y a un message du ministère de la Transition écologique et solidaire », témoigne Michel. « Ils se font passer pour le département, la région... Ils donnent des noms qui sont potentiellement faux », confirme un conseiller Faire en Bretagne, un service rattaché à l’Ademe [1] qui guide les usagers dans leurs travaux de rénovation énergétique. Toutes les institutions publiques que nous avons contactées confirment qu’elles ne font aucun démarchage à des fins commerciales [2].
« Je leur ai parfois signalé d’emblée l’illégalité de ces substitutions d’identité. L’interlocuteur interrompt alors la communication », note Michel. A l’autre bout du combiné figurent souvent des sociétés spécialisées dans le télémarketing usant d’arguments commerciaux mensongers comme l’obligation de réaliser des travaux sous peine d’amende. Les espaces info énergie, créés par l’Ademe pour apporter du conseil aux particuliers, ont constaté cette intensité de démarchage. (...)
En un an, la direction générale de la répression des fraudes a enregistré 1770 plaintes sur le secteur de la rénovation énergétique, en hausse de 20 % par rapport à l’année précédente. (...)
Un système d’aides qui favorise les malfaçons
Lorsque le particulier donne une suite favorable au démarchage, les entreprises annoncent généralement un délai de trois jours pour venir. La plupart ne procèdent à aucun repérage au préalable. « Ils ne posent aucune question sur l’électricité par exemple, illustre Michel. La seule chose qu’ils savent c’est la surface de la cave et ils annoncent, sans l’avoir vue, qu’ils vont mettre deux heures pour l’isoler ! » Laine de verre, laine de roche, polystyrène blanc, les isolants proposés par ces entreprises sont toujours les mêmes. « Le polystyrène, ce n’est que du plastique expansé qui va s’éroder dans le temps puis se disperser. On en retrouve partout en petits morceaux dans notre environnement et il retourne in fine dans l’océan, s’agace Michel. On ne fait pas dans le durable. Ce qui est proposé en termes d’isolants est légal mais scandaleux ! » « Ces entreprises sont uniquement dans une logique de rentabilité : des isolants vite achetés, vite posés, avec une main d’œuvre peu qualifiée », souligne l’agent du réseau Faire.
Gireg Le Bris, qui coordonne le réseau Rénov’Habitat en Bretagne, a écrit un rapport sur les pratiques de l’isolation à un euro, en se basant sur les remontées des conseillers. (...)
« Ce système d’aides favorise les malfaçons et des pratiques peu scrupuleuses », confirme Arthur Hellouin, qui travaille dans une coopérative d’écoconstruction. Pour maximiser le profit, certaines entreprises travaillent trop vite pour que la mise en œuvre soit de qualité. Si le critère c’était les économies d’énergie mesurées sur deux ans, on serait sûr de la qualité. Là c’est la vitesse d’exécution qui est mise en avant. » (...)
Entre risques d’incendies et dégradations du bâti
Bien que la prestation soit de faible qualité, de nombreux particuliers s’en contentent du fait du faible reste à charge de 1 euro. Sauf qu’il existe des cas où la réalisation a pu mettre en danger les occupants. (...)
Ces derniers se trouvent alors entourés d’isolants inflammables, sans que ne soit prise en compte la chaleur qu’ils dégagent, ce qui peut être source d’incendie, alerte Gireg Le Bris.
De manière générale, ces entreprises ne se préoccupent pas non plus de la gestion de l’humidité. (...)
Ce type d’interventions se traduit par des dégradations souvent lentes à détecter – plusieurs années – et potentiellement très coûteuses à traiter. « Les particuliers n’ont souvent aucun moyen de se retourner, témoigne le conseiller du réseau Faire. C’est souvent difficile d’arriver à joindre l’entreprise après les travaux, quand elle n’est pas en liquidation. » (...)
Un modèle économique reposant sur la fraude et de mauvaises conditions de travail
Comment ces entreprises parviennent-elles, en vendant une isolation à un euro, à ce que leurs interventions soient rentables ? Outre le travail bâclé et l’absence de visite préalable, ces entreprises trompent parfois les particuliers en ne mettant pas en place les produits indiqués sur les devis et factures - quand des devis sont établis et laissés aux particuliers... Ils jouent sur l’épaisseur par exemple ou mentent sur la performance des matériaux. Les surfaces traitées peuvent aussi être surestimées. Dans des combles de 60 m2, l’entreprise va indiquer qu’elle a isolé 100 m2 et récupérer ainsi plus d’argent via les certificats d’économie d’énergie qu’elles obtiennent à la suite de ces travaux. Ces certificats sont ensuite revendus sur un marché dédié ou à des entreprises qui émettent trop de CO2. « Les entreprises malveillantes sont généralement les premières à réussir à mettre en place un business model rentable en s’appuyant sur ces nouveaux financements, quand les artisans de qualité doivent s’adapter plus lentement », déplore Gireg Le Bris.