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Véganes et paysans (presque) unis contre l’élevage industriel
Article mis en ligne le 14 septembre 2019

Début septembre, un appel de l’association L214 contre l’élevage intensif rassemblait des véganes, des écolos mais aussi un éleveur-paysan et un artisan boucher. Face à un ennemi commun, véganes et paysans peuvent-ils s’allier ? Est-ce le premier pas vers une convergence des luttes ? Reporterre a enquêté.

C’est une convergence inédite et quasi historique. Mercredi 4 septembre 2019, l’association L214 a lancé un appel contre l’élevage intensif signé par de nombreuses personnalités, des associations écologistes, des véganes mais aussi un éleveur-paysan ou un artisan boucher. Dans cette tribune, les signataires dénoncent « un système » qui malmène les bêtes — sans accès à l’air libre — et les hommes. Ils critiquent les conséquences néfastes de ce modèle agricole sur la santé des consommateurs et les conditions de travail des éleveurs.

Dans un récent sondage, 87 % des personnes interrogées se disent opposés à l’élevage intensif. Pourtant, la lutte contre l’industrialisation du vivant reste largement éclatée et ses soutiens sont divisés. Elle peine à obtenir des victoires face à l’avancée du productivisme et à « la machine de mort » qu’elle induit. En France, chaque année, plus d’un milliard d’animaux sont tués. 80 % proviennent d’élevages industriels.
« Les lobbies industriels ont intérêt à ce que le conflit entre les véganes et les paysans perdure »

Pour les signataires de la tribune, il est grand temps de s’unir pour créer un front commun. (...)

Aux lobbies qui gangrènent les institutions, l’association espère désormais opposer la résistance d’un « lobby citoyen ». Avec plusieurs demandes précises dont « un moratoire immédiat sur l’élevage intensif » et l’interdiction de nouvelles constructions de fermes-usines. Elle propose aussi « un plan de sortie de l’élevage intensif, avec un accompagnement des personnes qui en dépendent vers des productions alternatives » et « une végétalisation de l’alimentation en restauration collective ».
« Qui tue le plus d’animaux aujourd’hui en France ? Le milieu industriel. Qui pousse les éleveurs à la porte ou au suicide ? Ce sont les mêmes ! » (...)

En trente ans, le nombre d’éleveurs de porcs et de volailles a baissé de 57 %, ceux qui élèvent des chèvres ou des brebis ont vu leur effectif diminuer de 48 % et les éleveurs de vaches laitières de plus de 70 %. Cet effondrement n’a pas empêché les cheptels d’augmenter ni les animaux d’être abattus en masse.
« Seules des luttes transpartisanes et transclasses peuvent obtenir une victoire » (...)

Sur le terrain, une convergence s’observe déjà. (...)

Pour autant, ces nouvelles complicités posent des questions. « Comment, quand on est abolitionniste, justifier le fait de réclamer seulement la fin de l’élevage intensif ? » se demande Aymeric Caron, signataire de la tribune, végane militant et cofondateur de la chaîne vidéo Komodo TV. Il faut arriver à « hiérarchiser les combats », suggère-t-il, distinguer des « objectifs à court terme » des « utopies de long terme », séparer le débat philosophique millénaire — manger ou non de la viande — de la lutte pressante pour freiner le secteur industriel. Mais, évidemment, les objectifs finaux des véganes et des petits éleveurs restent bien éloignés.
« L’alliance entre véganes et paysans doit être synonyme de conciliation et non de compromission » (...)

Des deux côtés de la frontière, il existe encore de profonds blocages, des oppositions houleuses à toute tentative de rapprochement. (...)

Jocelyne Porcher, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), voit dans la démarche de L214 « une stratégie d’infiltration qui n’a rien d’innocent ». Une manière d’orienter le mouvement. Dans son livre sorti en septembre Cause animale, cause du capital (éditions Le Bord de l’eau), elle décrit la collusion d’intérêts entre l’association végane et le développement de l’alimentation cellulaire en laboratoire, la fabrication de viande in vitro. (...)

Pour elle, les objectifs entre véganes et paysans ne s’opposent pas seulement à long terme mais dès aujourd’hui, « La survie de l’élevage paysan se joue maintenant et la viande in vitro arrivera dans nos assiettes au cours de la prochaine décennie si l’on ne fait rien. »
« Les tribunes, pétitions, enquêtes et autres n’ont ni pertinence ni efficacité »

De l’autre côté du prisme, les critiques pleuvent aussi. Les antispécistes et les véganes les plus radicaux se font virulents. « Nous pensons que viser uniquement l’élevage intensif et faire ainsi croire qu’une exploitation heureuse dans des élevages raisonnables est possible ne peut que renforcer le spécisme », estiment des membres de 269 Libération animale interrogés par Reporterre. « Nous combattons une oppression pas une pratique », résument-ils. (...)

Dans un article paru en ligne sur la revue Ballast, Tiphaine Lagarde, juriste et coprésidente de L269 Libération animale, dénonce l’institutionnalisation actuelle du milieu végane. « Un vent de modération souffle chez les véganes […] qui se défont de leur potentiel contestataire […] et les grandes ONG animalistes finissent par s’intégrer au système, en collaborant de manière à peine déguisée avec l’industrie de la viande et les éleveurs qui promeut une viande et un abattage “éthiques”. »

Entre véganes et paysans, la convergence des luttes ne semble pas vraiment pour demain.