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Mediapart
Vaccin contre le Covid-19 : le coup de bluff de Sanofi, à la traîne
Article mis en ligne le 20 janvier 2021

Les doses d’un vaccin Sanofi n’arriveront pas avant fin 2021, un an après celles de Pfizer-BioNTech et de Moderna. Un retard attribué à de premiers résultats d’efficacité insuffisants. Sanofi en vise de meilleurs, sans quoi la firme perdrait les 300 millions de doses précommandées par l’Europe, négociées à grands coups de communication.

D’un côté, pas assez de doses. De l’autre, pas de vaccin du tout. Pfizer-BioNTech peine à tenir la cadence de production pour honorer ses commandes de vaccins en Europe. À la suite de la panique suscitée par l’annonce de retards de livraison sur le Vieux Continent le 15 janvier, le binôme américano-germanique a indiqué le lendemain que le ralentissement affecterait cette semaine du 18 janvier seulement. 140 000 doses de moins seront acheminées. (...)

Les doses d’un vaccin Sanofi n’arriveront pas avant fin 2021, un an après celles de Pfizer-BioNTech et de Moderna. Un retard attribué à de premiers résultats d’efficacité insuffisants. Sanofi en vise de meilleurs, sans quoi la firme perdrait les 300 millions de doses précommandées par l’Europe, négociées à grands coups de communication. (...)

La firme Sanofi, elle, en est toujours aux premières phases de tests d’efficacité et de sûreté de son sérum. Pour le fleuron français, la comparaison fait mal. Le 11 décembre, alors que le vaccin de Pfizer-BioNTech est déjà autorisé au Royaume-Uni, Sanofi doit avouer que les résultats des premières phases des essais cliniques de son vaccin développé avec le britannique GSK montrent que l’efficacité chez les personnes les plus âgées, celles qui risquent le plus de développer une forme grave de Covid-19 donc, est insuffisante.

Il faut alors retravailler les dosages du vaccin et reprendre les premières phases d’expérimentation sur les humains débutées le 3 septembre 2020. Quatre mois de perdus dans cette course mondiale effrénée au bouclier anti-Covid. Il a fallu s’y résoudre, de peur de se faire rembarrer par les 27 États membres de l’Union européenne (UE). (...)

Parmi les six contrats passés entre la Commission européenne et les fabricants de vaccins, celui de Sanofi est le seul qui ne comprend pas une précommande ferme de doses de vaccins à condition d’obtenir une autorisation de mise sur le marché. « Le contrat de Sanofi prévoit une clause de revoyure de confirmation de la précommande de 300 millions de doses sur la base des résultats cliniques. Il s’agit donc à ce stade d’une option », précise le ministère délégué chargé de l’industrie à Mediapart.

Comme si, dès le départ, les 27 avaient placé moins d’espoirs en ce compétiteur qu’en les autres, sans vouloir le disqualifier d’emblée, l’autorisant à jouer dans la même catégorie, et donc à maintenir l’illusion, pour ses actionnaires, d’être en mesure de franchir la ligne d’arrivée dans un temps comparable aux premiers. Pour que les doses de vaccins Sanofi-GSK soient fermement précommandées, il faut que les résultats des premières phases d’essais cliniques destinées à vérifier l’innocuité et l’efficacité du vaccin avant de le tester à plus large échelle soient probants. (...)

« La sécurisation de doses dans le cadre des six premiers contrats s’est faite à une période où les données cliniques étaient encore largement inaccessibles pour tous les vaccins », justifie le ministère délégué chargé de l’industrie à Mediapart. Sauf qu’il faudra attendre le 11 novembre 2020 pour que la Commission européenne signe avec Pfizer-BioNTech une précommande initiale pouvant aller jusqu’à 300 millions de doses. L’équipe américano-germanique est pourtant en train de finaliser les résultats de la toute dernière étape de ses essais cliniques.

Elle en a même communiqué les résultats préliminaires deux jours auparavant (lire aussi Vaccin contre le Covid-19 : les dessous de l’annonce spectaculaire de Pfizer). D’ailleurs, ce vaccin a finalement été le premier au monde approuvé par les autorités sanitaires : il l’a été le 21 décembre en Europe. Encore aujourd’hui, c’est le seul, avec celui de Moderna, à être distribué sur le continent. (...)

Début janvier, les médias allemands relaient le fait que Berlin tente d’acheter des doses en plus de piqûres Pfizer-BioNTech en solo, alors que l’initiative européenne d’achats groupés vise à éviter que les États jouent une partition personnelle, au nom de la solidarité communautaire.

Pour clore la polémique, le 8 janvier, la Commission européenne conclut elle-même un nouvel accord avec Pfizer-BioNTech afin de doubler le nombre de vaccins réservés aux Européens, portant l’acquisition à 600 millions en tout. Le duo pharmaceutique s’est alors bien gardé de communiquer sur ses retards de livraison à venir en Europe : il l’a fait une semaine après avoir signé, seulement. Il ne suffit pas d’accepter les commandes supplémentaires, encore faut-il que le rythme de production suive. (...)

Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer un tel retard ? « Ce n’est pas une compétition entre laboratoires mais contre le Covid-19 », répond Sanofi à Mediapart. Dans son communiqué du 11 décembre 2020, le leader mondial de la vaccination attribue la mauvaise réponse immunitaire rencontrée lors de ses expérimentations à « une concentration insuffisante d’antigènes ».

En interne, les équipes de Sanofi sont très déçues. « Les collègues se font rentrer dedans à deux niveaux. Par les antivax, mais aussi par ceux qui attendaient le vaccin et qui nous demandent ce qu’on a fait. Certains ont honte et n’indiquent même plus où ils travaillent, sur les réseaux sociaux comme LinkedIn ou autres », souffle Fabien Mallet. (...)

« Du fait de la destruction de la R&D, on est à la ramasse. Il y a eu un raté dans le processus d’essais cliniques. On n’a pas mis les moyens humains pour sécuriser les dosages. On ne sait même pas combien de personnes travaillent dessus », regrette le représentant de la CGT.

Interrogée par Mediapart, la direction répond qu’en tout, plus de 10 000 salariés de Sanofi travaillent sur le projet de vaccin contre le Covid-19. Soit 10 % de ses effectifs totaux dans le monde. Une telle mobilisation paraît difficile à croire pour les différents syndicats représentatifs dans l’entreprise.

Surtout, alors que le monde de la recherche scientifique est en ébullition pour trouver des réponses à cette pandémie, Sanofi prévoit encore un plan de départs volontaires de 400 salariés de la R&D dans les trois prochaines années, selon les syndicats. (...)

« On se demande si Sanofi a mesuré les attentes face à l’ampleur de cette crise sanitaire. Sanofi aurait dû s’investir davantage dans son partenariat avec Translate Bio qui développe la technologie ARN. Le fait qu’il ait été noué en 2018 était l’occasion d’être dans la course mais finalement, depuis, Sanofi l’a fait vivoter et résultat, on va arriver un an après les premiers », regrette Fabien Mallet.

Pour ce deuxième candidat vaccin, Sanofi vise aussi une potentielle autorisation de mise sur le marché à la fin de 2021. C’est cette petite structure qui maîtrise les connaissances et le savoir-faire de l’ARN messager, pas Sanofi. La direction prévoit que « la production initiale [ait] lieu sur les sites de fabrication de Translate Bio au Massachusetts ».

« Sanofi a fait le choix de développer en interne une technologie qu’il connaissait bien. Il est très frileux sur les biotech. La stratégie financière prime au détriment de l’innovation », analyse aussi l’économiste de la santé Nathalie Coutinet. « Sanofi a surtout misé sur la technologie qui demandait le moins d’investissements en R&D. Or ce n’est pas parce qu’on a un vaccin contre la grippe saisonnière que la technique utilisée va fonctionner sur le Covid-19. La science ne se commande pas avec l’argent », déplore Fabien Mallet. (...)