
Le gouvernement, aiguillonné par Bruxelles, envisage d’ouvrir à la concurrence la gestion des barrages hydroélectriques. Une mobilisation multicolore et transpartisane grandit pour défendre une gestion publique de ces infrastructures et du bien commun qu’est l’eau.
Si les syndicats pronucléaires d’EDF et les associations et politiques écolos opposés à l’atome se réunissent dans un même cortège, c’est que l’heure est grave. Gilets jaunes, CGT, Sud, Parti communiste, EELV, socialistes, et d’autres dénoncent en chœur l’intention du gouvernement de « privatiser » les barrages hydroélectriques. Ou, plus précisément, d’ouvrir leur gestion à la concurrence.
Quelque 150 barrages pourraient ainsi, dans les années à venir, voir leur gestion offerte au plus offrant, et basculer entre les mains d’opérateurs privés. Parmi les sociétés intéressées, on trouve Total (via Direct Énergie), le suédois Vattenfall, ou encore le Finlandais Fortum. Alors que l’hydraulique rapporte environ 1,5 milliard d’euros par an à l’État, « il y a un très fort lobbying des opérateurs, qui veulent récupérer une part de cette rentabilité », estime Fabrice Coudour, chargé de la question des barrages à la CGT Énergie.
L’affaire date d’il y a bientôt 15 ans [1], mais elle a été relancée début mars par la Commission européenne qui a mis en demeure la France de se conformer au droit de l’Union. (...)
Difficile de connaître les intentions de l’exécutif sur le sujet
Depuis, les collectifs de défense des barrages se multiplient. « On veut privatiser l’eau », proteste Jean Ganzhorn, Gilet jaune et installateur de photovoltaïque dans les Hautes-Alpes. Il a réussi, avec son collectif « Ne nous laissons pas tondre », à réunir plus de 1.000 personnes sous une pluie battante sur le barrage de Serre-Ponçon le 8 mai dernier. Des manifestations ont aussi eu lieu à L’Isle-Jourdain, dans la Vienne, au Tech dans les Hautes-Pyrénées, ou encore à Saint-Égrève en Isère.
Ajoutant leur voix à la mobilisation, plus d’une centaine de députés de tous bords — communistes, insoumis, socialistes, républicains et même quelques marcheurs, dont Cédric Villani — déposaient à l’Assemblée nationale le 5 avril dernier une proposition de résolution dénonçant comme « dangereuse et irrationnelle l’ouverture à la concurrence de ce secteur stratégique au plan économique, social et environnemental, qui s’adosse à un patrimoine financé de longue date par les Français et conservé en excellent état », et demandant au gouvernement d’y renoncer. (...)
« On est dans le royaume du “en même temps” ! dit la députée Delphine Batho, qui, quand elle était ministre de l’Environnement, en 2012, s’était opposée à cette ouverture à la concurrence. Dire que l’on respecte le droit européen veut dire que l’on va ouvrir à la concurrence, et s’opposer en même temps au morcellement implique de ne pas le faire… » (...)
S’ajoute à ces atermoiements le plan de restructuration d’EDF — baptisé Hercule — voulu par l’Élysée. (...)
Sans attendre les précisions du gouvernement, les opposants de l’ouverture à la concurrence peaufinent leurs arguments en faveur du maintien de ce qui s’apparente, pour eux, à un service public. Certains craignent pour la sécurité, qui pourrait ne pas être aussi bien assurée par des opérateurs cherchant avant tout la rentabilité. D’autres soulignent les pertes économiques qu’engendrerait un système géré par une multiplicité d’acteurs devant sans cesse se coordonner plutôt que par un seul. (...)
Surtout, tous insistent sur le fait que, en plus de produire de l’électricité, les barrages ont de multiples usages. Les lacs de retenue sont devenus des espaces de loisir, de tourisme, de pêche et servent de réserve d’eau pour l’agriculture ou même les populations, les barrages servent à écrêter les crues et doivent maintenir des débits suffisamment importants pour le refroidissement des centrales nucléaires… ou pour la biodiversité. « Les concessions dureraient 30 ou 40 ans, prévoir les usages pour une durée aussi longue serait rigoureusement impossible, et chaque changement impliquerait une renégociation du cahier des charges et des coûts supplémentaires », estime Philippe André, de Sud Énergie, coauteur d’un rapport regroupant des paroles d’experts d’EDF sur les barrages. (...)
« L’eau est un bien commun, de première nécessité » (...)