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Mediapart
Une guerre interne dévoile les étranges méthodes de la CGT des hôtels parisiens
Article mis en ligne le 29 décembre 2020

Les actuels dirigeants de la CGT HPE viennent de voir leurs décisions de toute l’année suspendues par la justice. Une partie des militants critique la collecte systématique de « dons » auprès des salariés défendus par le syndicat aux prud’hommes.

Rien ne viendra perturber sa sérénité apparente ni son militantisme. Jeudi 24 décembre dans la matinée, Claude Lévy, 61 ans, figure de la CGT dans le secteur de l’hôtellerie, préparait le « réveillon des luttes » qu’il organisait le soir même au côté de la vingtaine de femmes de chambre de l’hôtel parisien Ibis Batignolles qui poursuivent la grève lancée il y a 17 mois pour protester contre leurs conditions de travail. À son initiative, ces grévistes viennent d’attaquer le groupe Accor pour dénoncer « la sous-traitance de la discrimination ».

Celui que l’on qualifie volontiers de « chevalier blanc des femmes de chambre », tête de pont de la CGT des Hôtels de prestige et économiques (CGT HPE) à l’origine des retentissantes grèves dans le secteur ces dernières années, est pourtant au cœur des intenses soubresauts qui agitent son syndicat depuis 2019.

Les énormes tensions existant dans cette structure CGT aux quelque 600 adhérents ont débouché le 30 novembre sur une décision en référé (la procédure d’urgence) du tribunal judiciaire de Nanterre : Claude Lévy, qui avait été nommé secrétaire général en janvier, a été suspendu de ses fonctions, et le syndicat est désormais dirigé par une administratrice judiciaire, le temps de réunir ses membres pour faire élire une nouvelle direction. Les décisions prises par ses dirigeants depuis le mois de janvier ont été suspendues.

Le tribunal a constaté des « dysfonctionnements majeurs », causés par un « conflit interne lié à une mésintelligence grave ». C’est bien ce dont les forces en présence témoignent : la justice a été saisie par vingt-trois adhérents ou ex-adhérents de la CGT HPE, contre neuf autres militants, Claude Lévy et huit de ses proches ou alliés, membres du bureau du syndicat – depuis peu de temps pour certains. (...)

Interrogé par Mediapart, l’emblématique défenseur du personnel hôtelier, qui fut trésorier du syndicat de manière ininterrompue de sa création en janvier 2002 à fin 2019, indique avoir lancé une procédure d’appel. « Nous avons affaire à une bande d’emmerdeurs qui sont ultra-minoritaires dans le syndicat », assure-t-il. Il critique la décision de justice, citant plusieurs erreurs factuelles dans l’ordonnance de référé. Il la juge par ailleurs trop dirigée contre lui, comme s’il était « le gourou de la secte CGT HPE » et que ses alliés à la direction n’avaient pas de volonté propre.

« Avec le recul, nous sommes satisfaits de cette décision, déclare-t-il cependant. Une personne extérieure va pouvoir réunir nos instances de façon indiscutable, et faire élire une nouvelle direction. » La décision du tribunal de Nanterre intervient en effet dans un contexte pour le moins troublé. (...)

Le militant et l’une de ses proches (également salariée du syndicat) ont aussi perdu leur mandat de défenseurs syndicaux, sur décision de l’union régionale CGT d’Île-de-France et de l’union de Paris. Dans un tract publié le 23 décembre, les deux militants annoncent qu’ils vont déposer un recours gracieux contre cette décision après de la préfecture.

Enfin, Claude Lévy a été condamné en référé le 9 octobre à payer 3 000 euros à l’un de ses adversaires les plus acharnés de la CGT HPE, pour avoir diffusé plusieurs fois son bulletin de salaire à de nombreux adhérents. Là aussi, il a fait appel. Ce qui n’a pas empêché ses adversaires de publier un communiqué dénonçant une « personne qui s’affranchit de tout fonctionnement collectif et qui fait de l’argent et de la violence verbale ou physique envers ses camarades ses principaux instruments de pouvoir ».

Le ton est donné. Salarié du syndicat depuis 2008, militant au talent et à l’engagement reconnu par tous, Claude Lévy divise par ses méthodes. Ses détracteurs l’accusent de s’être considéré depuis plusieurs années comme le dirigeant de fait du syndicat, d’avoir pris des décisions, y compris financières, sans en avoir averti les autres membres du bureau, d’avoir salarié deux de ses proches, dont sa femme pendant des années (ils ont aujourd’hui divorcé), et de se montrer menaçant envers ceux qui le critiquent.

Le différend est tellement intense que l’union parisienne de la CGT a dépêché au printemps 2019 l’un de ses dirigeants, Karl Ghazi, porte-parole de la section commerce à Paris, pour faire office de médiateur.

L’embarrassante question des « dons juridiques »

La mésentente ne porte pas que sur des questions de méthode ou de gestion des affaires internes. Elle concerne aussi un sujet de fond, embarrassant pour la CGT : en sa qualité de défenseur syndical, Claude Lévy défendait de nombreux salariés aux prud’hommes, et revendique ouvertement le fait de leur avoir systématiquement demandé le paiement de frais de dossier (qui s’échelonnent de 160 euros pour un nouvel adhérent à la gratuité pour un adhérent depuis trois ans, selon les règles de la CGT HPE). Il leur demande aussi, et surtout, de verser à son syndicat 10 % des sommes qu’ils obtiennent aux prud’hommes.

Or la direction confédérale de la CGT interdit de demander des frais de dossier. (...)

Claude Lévy assume, et affirme qu’il n’a jamais touché un centime à titre personnel. « Pour nous, il n’est pas interdit de solliciter un don spontané et un don volontaire pour le syndicat, assure-t-il à Mediapart. Il est de notre devoir de militants d’expliquer aux salariés syndiqués défendus aux prud’hommes l’importance pour la survie de la structure de ces deux formes de dons. »

Il explique que ce sont ces « dons juridiques » qui permettent à sa structure de soutenir les salariés grévistes, en leur payant 42 euros par jour de grève, comme nous l’avions raconté à l’occasion d’un autre conflit retentissant mené par Claude Lévy et ses troupes – la grève au Park Hyatt Vendôme, qui avait duré 87 jours.

Les sommes engrangées par la CGT HPE sont considérables (...)

La CGT HPE dispose aujourd’hui d’une réserve financière d’environ… 800 000 euros. C’est au nom de son efficacité financière que Claude Lévy s’autorise un salaire jugé élevé par d’autres dirigeants de syndicats. (...)

Mais plusieurs responsables de la CGT, à Paris ou au niveau national, s’indignent. (...)

C’est ce point sensible des « dons juridiques » systématiquement demandés qui a fait office de détonateur au sein de la CGT HPE. En avril 2019, une nouvelle salariée du syndicat, juriste, a alerté les membres du bureau sur le fait que la pratique était contestable légalement. Et même si Claude Lévy et l’autre défenseuse syndicale ont accepté, pendant une réunion de bureau le 24 avril, d’y mettre un terme, ils auraient alors pris pour cible la salariée.

Claude Lévy a interrompu la période d’essai de la jeune femme sans en référer au bureau du syndicat. Cet épisode a fait basculer la situation, déjà très tendue en interne (...)