
1. Un ministre amnésique de son sexisme
Le jeudi 18 février, l’Assemblée Nationale adopte en première lecture le texte de la députée Isabelle Santiago (PS) relative à la protection des mineurs. La proposition fixe un âge de non-consentement à 15 ans et 18 ans en cas d’inceste. Toute pénétration sexuelle commise par un adulte sur un.e mineur.e de moins de 15 ans sera automatiquement considérée comme un viol, sans jamais poser la question du consentement. Une clause « Roméo et Juliette » est également prévue pour ne pas criminaliser les relations d’un couple dans lequel un des partenaires à 14 ans, et l’autre qui acquiert la majorité.
Dans l’hémicycle, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti rend hommage à la « libération de la parole » qui oblige la société à ne « plus fermer les yeux » sur les violences sexuelles. Entre amnésie et cynisme, il maîtrise déjà parfaitement la rhétorique politique. En effet, comment peut-il s’en réjouir alors qu’il a toujours fustigé les féministes et les victimes de violences sexuelles pour innocenter les agresseurs qu’il défendait. En témoignent ses propos sexistes pendant le procès pour viol de l’ex-secrétaire d’Etat Georges Tron en 2018. Sans aucun respect et empathie pour les victimes, il les qualifie d’ « incohérentes » et de « manipulatrices », dont l’une des plaignantes aurait selon lui acceptée les rendez-vous avec Tron « pour le pécho ». Alors que Georges Tron fut acquitté en 2018, il est condamné le 17 février 2021 en appel à 5 ans de prison dont 2 avec sursis.
Le ministre de la Justice a toujours défendu, aveuglément ou non, le système-agresseur par l’utilisation récurrente de la culture du viol qui délégitime les victimes.
Ce ministre qui transpire le sexisme ordinaire ne comprend, ou ne veut pas comprendre, que sa justice, outre le fait qu’elle soit de classe et raciale et aussi patriarcale. (...)
Si les victimes témoignent sur les réseaux sociaux, dans les médias, les livres, la rue, c’est justement parce que toutes les instances institutionnelles régaliennes ne les protègent pas, ne les croient pas, ne les écoutent pas, ne les reconnaissent pas. C’est grâce à l’utilisation de ces espaces alternatifs, et non à la Justice, que la société est en train de sortir du déni de la domination masculine. (...)
2. Avant 2021, la France était le paradis des pédocriminels ?
Il semble bien que la France de 2021 commence à construire un cadre contraignant et strict pour les crimes sexuels sur mineurs. Grâce au courage des victimes de pédocriminalité et à la pression des associations et des collectifs de protection de l’enfance et féministes, la classe politique est obligée de regarder en face la réalité systémique de ce phénomène criminel et de proposer des solutions pour l’enrayer (...)
Pourquoi poser l’hypothèse que la France était le paradis des pédocriminels ? Ceci est bien moins une hypothèse que l’hyperbole d’une réalité désastreuse sur le manque de protection des mineur.e.s, et je vais m’en expliquer.
a. L’enfant peut toujours être consentant (...)
L’une des mesures principales pour protéger les enfants est la mise en place d’un seuil de non-consentement irréfragable. C’est-à-dire qu’à un certain âge, la société reconnait qu’un.e enfant ne peut être consentant.e à une relation sexuelle avec un adulte, et que celle-ci est automatiquement constitutive d’un viol. Contrairement à de nombreux autres pays européens, la France n’en a pas fixé. (...)
En d’autres termes, un.e magistrat.e peut considérer qu’un.e enfant de 6 ans peut être consentant.e à des relations sexuelles avec un adulte, ou du moins, que son comportement peut faire croire à l’adulte qu’il.elle pouvait être consentant.e. Le viol peut donc ne jamais être reconnu.
Cependant, la reconnaissance d’une possibilité d’un consentement ne veut pas dire que la relation est légale. Selon le droit français, toute relation sexuelle entre un adulte et un.e mineur.e de moins de 15 ans est considérée comme une atteinte sexuelle dont la condamnation est de 7 ans de prison. C’est au juge de décider si l’enfant est consentant ou non, si sa vulnérabilité est réelle et ainsi requalifier l’atteinte sexuelle en viol, ou non (...)
Cette absence de seuil de non-consentement rend la France complice du système pédocriminel qui permet aux agresseurs de continuer d’agresser. Ce vide juridique sexualise le corps des enfants, déresponsabilise les pédocriminels en responsabilisant les mineur.e.s sur leurs attitudes, leurs comportements ou leur inaction dans les interactions sexuelles avec l’adulte, faisant ainsi fi des troubles psychotraumatiques causées par les violences sexuelles. (...)
b. La loi Schiappa, une non-volonté de protéger les enfants
L’ancienne secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations défend bec et ongles sa loi du 3 aout 2018 sur les violences sexuelles et sexistes. Celle-ci est censée mieux protéger les enfants de la pédocriminalité. Or, elle ne pose pas de cadre strict et contraignant. (...)
Malgré tous les beaux mots de M. Schiappa, sa loi ne permet pas de protéger les enfants de la violence pédocriminelle comme en témoignent différentes affaires de justice. (...)
L’ancienne secrétaire d’Etat ne semble pas comprendre les processus de la violence sexuelle sur les enfants. Avec sa loi, c’est toujours l’usage de la violence, de la contrainte, de la surprise ou de la menace du violeur qui permet de caractériser l’agression, et donc l’absence de consentement de l’enfant. (...)
Or, la majorité des viols sur les enfants sont commis « sans violence », outre la violence terrible du viol lui-même, notamment car les auteur.e.s sont souvent un proche (90 % des cas dont la moitié sont commis par un membre de la famille). Par ailleurs, l’enfant n’a pas la maturité psychique, physiologique, intellectuelle et émotionnelle pour comprendre la sexualité, les effets sur sa santé, ni pour s’opposer à l’adulte. (...)
Briser la souveraineté des juges sur la qualification des actes sexuels entre un enfant et un adulte est nécéssaire. Leur pouvoir dans l’appréciation de la violence dans une société patriarcale où domine la culture du viol, les stéréotypes sexistes, et des mythes sur la sexualité des enfants est intolérable. (...)
3. L’enfant et sa vulnérabilité
La question principale est la suivante : A quel âge faut-il mettre le seuil de non-consentement ?
En dessous de 13 ans, il y a un consensus dans les disciplines psychologiques pour dire qu’un enfant ne peut consentir librement à une relation sexuelle avec un adulte. En effet, il n’a pas les capacités de discernement, ni la maturité psychoaffective, émotionnelle et intellectuelle suffisamment développées. Néanmoins, tout comme des dizaines d’associations, de psychologues, de psychiatres, de traumatologues, je désire porter cet âge de non-consentement à 15 ans, soit 14 ans et 365 jours et interdire la possibilité de requalifier les viols en agressions sexuelles.
Même à 15 ans, l’enfant n’a pas les capacités sensorielles et émotionnelles pour être confronté à la sexualité avec un adulte. (...)
L’enfant a besoin de sécurité affective et émotionnelle qui le rend dépendant de l’autorité de l’adulte, et cette relation de domination constitue en elle-même une contrainte morale et physique.
Par ailleurs, comme le rappelle la psychiatre Muriel Salmona, l’enfant est très vulnérable face aux situations stressantes. Il n’a pas la capacité d’intégrer psychiquement les situations angoissantes (et ses effets) qui se présentent devant lui. Il est plus facilement en état de sidération, ce qui le paralyse devant l’adulte. (...)
Pour finir, des études en traumatologie montrent que les expériences sexuelles précoces (avant 15 ans) peuvent être en soi un facteur de risque pour l’intégrité psychique et physique des enfants, plus particulièrement sur les filles (...)
4. Pour un seuil de non-consentement
La France doit mettre en place un seuil de non-consentement à 15 ans afin d’empêcher toute possibilité de décriminalisation des viols sur mineurs. L’Assemblée Nationale est sur cette voie avec la proposition de loi d’Isabelle Santiago, qui propose aussi, à la demande des associations, de monter ce seuil à 18 ans pour les victimes d’inceste. (...)
l’enfant doit être protégé de toute interaction sexuelle avec l’adulte par un seul de non-consentement à 15 ans, et 18 ans pour les cas spécifiques cités plus haut (inceste, personne ayant autorité, handicap).
Pour finir, contrairement à certaines idées fausses, la seuil de non-consentement concerne les relations sexuelles entre un adulte et un.e mineur.e de moins de 15 ans (18 ans pour cas spécifiques), et ne réprime pas la sexualité des adolescent.e.s. Néanmoins, il faut également questionner la protection des mineur.e.s face à d’autres mineur.e.s. La gouvernement est dans le déni de cette réalité alors que certaines études montrent qu’environ 25 % des violences sexuelles que subissent les mineur.e.s sont le fruit d’autres mineur.e.s. (...)
Sur la question des relations incestueuses (les plus fréquentes), il faut maintenir le seuil à 18 ans comme pour les relations entre ascendant.e.s et enfant. Pour les autres situations, il y a débat.