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Mediapart
Un rapport confidentiel pointe les lacunes de la politique d’intégration
Article mis en ligne le 15 novembre 2021

Pour faire passer sa « loi immigration » de 2018 et ses mesures sécuritaires, l’exécutif a beaucoup insisté sur le renforcement parallèle de sa politique d’intégration. Trois ans plus tard, un rapport d’inspection confidentiel, que Mediapart s’est procuré, constate qu’il n’y a pas matière, loin de là, à se féliciter.

En 2018, lors du vote de la « loi immigration », le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, avait juré que son projet n’était pas que répressif. Officiellement, il reposait sur trois piliers : non seulement « une immigration maîtrisée » mais aussi « un droit d’asile effectif » et « une intégration réussie ». Pour celle-ci, c’est raté, d’après un rapport d’inspection confidentiel bouclé en avril dernier, consacré à « l’insertion par l’emploi des étrangers primo-arrivants », et que Mediapart s’est procuré.

Pour mémoire, notre politique d’intégration destinée aux étrangers non européens dotés d’un titre de séjour et souhaitant vivre durablement en France repose sur un « contrat d’intégration républicaine » (CIR). En 2019, 107 455 contrats ont ainsi été paraphés entre l’État et des étrangers qui relevaient soit de l’immigration familiale (52 %), soit du droit d’asile (26,6 %), soit de l’immigration économique (12,7 %). (...)

En signant, tous et toutes s’engagent à suivre des formations en matière linguistique, sur les « valeurs de la République » ou les « règles de vie » de la société française, sous l’égide de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), un établissement public dont l’image ressort écornée du rapport – il est aujourd’hui dirigé par Didier Leschi, un préfet qui joue par ailleurs le « médiateur » à Calais.

En 2018, pour donner des gages sur le volet « intégration », l’Assemblée nationale avait voté, aiguillonnée par le député Aurélien Taché (alors sur les bancs de LREM), un doublement des heures de français.

Trois ans plus tard, les auteurs du rapport (issus des inspections générales des affaires sociales, de l’administration et de l’éducation) constatent que de nombreux primo-arrivants rencontrent toujours d’énormes difficultés sur le marché du travail alors même que « beaucoup d’entreprises peinent à recruter dans certains secteurs, souvent essentiels, de l’économie ». Pourquoi ce paradoxe, autrement dit cet échec ? (...)

Première lacune : l’apprentissage de la langue. En 2019, d’après le rapport, moins de la moitié des signataires du CIR orientés vers une formation linguistique ont atteint le niveau A1, dit « introductif » ou « élémentaire ». « En se rendant sur plusieurs plateformes de l’Ofii, la mission a constaté qu’il était plus juste de dire que, globalement, les bénéficiaires tendaient vers le niveau A1 mais qu’ils étaient loin de l’avoir atteint. »

Les inspections s’inquiètent de la qualité des organismes de formation.
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Autre pierre dans le jardin de l’Ofii : les formations sont mal contrôlées. (...)

la plupart des étrangers, « recherchant une autonomie à court terme, n’aspirent pas à apprendre le français pour lui-même, mais veulent surtout associer au plus vite son apprentissage à un projet professionnel ».

Autre pierre dans le jardin de l’Ofii : les formations sont mal contrôlées. « La lecture du cahier des charges des formations linguistiques ne fait apparaître aucune clause exigeant une certification qualité des organismes formateurs », regrettent les inspections. Par ailleurs, les étrangers ne sont pas évalués à l’issue de la formation. Si la loi Collomb a prévu que leur niveau de langue puisse être certifié, c’est à l’organisme de formation de prendre cette certification en charge. Résultat : en 2019, seuls 173 signataires ont présenté l’examen.

Le député Sébastien Nadot (Libertés et territoires), président de la commission d’enquête sur les migrations dont le rapport est attendu mardi 16 novembre, ne dit pas autre chose à Mediapart : « L’Ofii sous-traite à des officines les cours de langues et le contenu du CIR n’est pas assez contrôlé. » (...)

Deuxième lacune de la politique d’intégration ? L’emploi. « Le taux d’emploi des primo-arrivants est particulièrement faible en France », résument les auteurs. Les signataires du CIR ont pourtant un entretien personnalisé avec l’Ofii, censé évaluer leurs besoins. Mais les inspecteurs jugent, dans une langue de diplomate, « que cette fonction d’évaluation des besoins en emploi [n’est] pas toujours assurée de manière optimale ». Outre que l’entretien est trop court, les auditeurs de l’Ofii sont mal formés et connaissent mal les multiples programmes d’insertion.

L’articulation entre l’Ofii et Pôle Emploi est ainsi jugée « laborieuse ». En 2021, seuls 46 % des signataires du CIR concernés y étaient d’ailleurs inscrits.

L’Ofii a bien signé une convention avec Pôle emploi, mais elle est peu mise en œuvre sur le terrain. (...)

Troisième lacune, selon les inspections : la faible insertion des femmes. Alors qu’elles représentent près de la moitié des signataires du CIR et qu’elles sont globalement plus diplômées que les hommes, elles sont sous-représentées dans presque tous les programmes d’insertion professionnelle. Parmi les dix dispositifs analysés par la mission, un seul intégrait une majorité de femmes.

La mission avance plusieurs explications. D’abord, la plupart des dispositifs sont tournés vers les réfugiés (majoritairement des hommes) et pas vers l’immigration familiale (majoritairement des femmes). Ensuite, rares sont les programmes adaptés aux charges de famille, majoritairement assumées par les femmes. Elles sont exclues de fait des programmes intensifs, telles les formations en alternance. La mission recommande donc un accompagnement et des formations adaptées. (...)

Le plus rageant ? Les constats de la mission recoupent, pour partie, ceux déjà dressés par la Cour des comptes dans un rapport confidentiel de juin 2019, également consulté par Mediapart. (...)

« Les gens se retrouvent dans des parcours très chaotiques, résume aujourd’hui le député Sébastien Nadot. Le problème, c’est que notre modèle d’intégration n’est pas du tout individualisé. On plaque une organisation défectueuse des pouvoirs publics. Et l’Ofii ne prend pas assez en compte le fait que les gens doivent être acteurs de leur parcours d’intégration. »

De son côté, le député Aurélien Taché, qui avait, en 2018, produit « 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration », insistant sur la nécessité de renforcer l’apprentissage du français, l’orientation vers l’emploi et les formations civiques, tire un bilan décevant des trois années qui ont suivi. (...)

« Mon rapport concluait qu’il fallait sortir la politique d’intégration du ministère de l’intérieur, ministère qui se focalise sur les reconductions. Avec un plan ambitieux. Ce n’est pas la voie choisie par le gouvernement ».