Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Solidarité France Grèce
Un médecin grec raconte : « Celui qui n’a pas d’argent meurt »
Article mis en ligne le 14 juillet 2016
dernière modification le 2 juillet 2016

La Grèce doit faire des économies, en voilà les conséquences : les malades souffrant d’un cancer n’ont pas de soutien, la poliomyélite est de retour, les malades souffrant du diabète perdent la vue. Le médecin Georgis Vichas nous parle de son travail quotidien.

(...) vous accomplissez parallèlement deux activités professionnelles à plein temps. D’une part, vous êtes cardiologue à temps plein dans un hôpital et d’autre part, vous dirigez une structure, où vous et vos collègues soignez gratuitement des milliers de patients qui, sans vous, ne recevraient aucune aide médicale. Cela doit être difficile à supporter à long terme.

Je travaille beaucoup et ne dors que cinq heures par jour, c’est vrai. Mais je suis en excellente forme et je tomberais certainement vraiment malade si je ne le faisais pas et restais les mains dans les poches alors que nombre de nos compatriotes luttent dur et souffrent.

Votre famille l’accepte ?

Depuis six mois, mes filles ont arrêté de demander quand la crise se terminerait. Ma femme travaille avec nous, elle voit bien à quel point cet engagement est nécessaire.

Comment avez-vous fait pour créer une clinique avec des bénévoles pour offrir des traitements gratuits ?

Depuis de nombreuses années, je travaille dans un hôpital public. Au printemps 2011, j’ai vu les conséquences, lorsque des centaines de milliers de personnes ont soudainement perdu leur emploi et par la suite leur assurance maladie. A cette époque, j’avais un patient quinquagénaire souffrant du cœur qui faillit mourir parce qu’il n’avait pas obtenu les médicaments nécessaires depuis six mois. Cela m’a touché profondément, je me sentais coupable.

Pourquoi donc ? Vous n’y étiez pour rien.

Je voyais la souffrance des gens sans rien faire, car je ne savais pas comment. Cela a changé au mois d’août 2011. J’ai assisté à un concert de Mikis Theodorakis, notre grand compositeur. Il a fait un discours passionné et dit entre autre, ce que je pensais depuis un bon moment, que les médecins devaient entreprendre quelque chose pour aider dans leur misère et leurs angoisses, les gens ayant perdu leur assurance maladie. Cela m’a beaucoup perturbé. Le concert eut lieu ici, sur le terrain de l’ancien aéroport. Alors, j’ai eu l’idée : il y avait tous ces bâtiments vides et j’ai pensé qu’on pourrait éventuellement établir un établissement médical ambulatoire libre dans un de ces bâtiments. Nous avons eu la chance que le maire de la région était prêt à nous aider. Il nous a prêté ce bâtiment tout en prenant en charge les frais d’électricité et d’eau.

Votre patron vous laisse sans rien dire, exercer un deuxième emploi ?

Le directeur de notre hôpital fût le premier que j’ai convaincu de ce plan. Il voyait la détresse et y participe lui aussi. Les conditions des bailleurs de fonds et de leur Troïka, composée du Fond monétaire international, de la BCE et de la Commission européenne, ont mené à une réduction de 40% des moyens financiers pour le service étatique de santé publique. (...)

En Grèce, il y a des gens qui meurent uniquement parce qu’ils ne sont plus assurés ?

Oui, c’est la réalité. Mais cela, vous ne le trouverez pas dans les statistiques. Mais nous l’avons vécu dans notre clinique. Les trois premières années, nous avons traité 200 patients souffrant d’un cancer. 10% d’entre eux sont venus nous consulter dans un stade avancé de la maladie. La moitié est décédée parce qu’ils n’ont pas obtenu
de traitement à temps. Les collègues travaillant dans d’autres cliniques bénévoles nous rapportent les mêmes expériences. Nous devons supposer qu’il y a des milliers de malades décédés suite au manque de traitement.

Y a-t-il des maladies typiques de cette crise ?

Le Sida, la tuberculose et l’hépatite. Les personnes infectées sont souvent les pauvres ne pouvant pas s’offrir de traitement. (...)

Beaucoup plus souvent qu’auparavant, nous voyons des mamans, bébés et enfants sous-alimentés. Cela va nuire à un grand nombre d’enfants pour toute leur vie.

Si la réalité est ainsi, les coupes dans les budgets de la santé publique sont totalement insensées même sous l’aspect purement économique.

Oui, c’est absurde. Ces mesures d’économies coûteront en fin de compte davantage à l’économie grecque qu’elles ne rapportent au budget de l’Etat. Uniquement ce qu’on a économisé sur le dos des diabétiques au cours des trois années après 2010 causera des frais supplémentaires de 200 millions d’euros. C’est le résultat d’une étude sérieuse.

Cela n’a pas amené les responsables à réfléchir ?

Ecoutez, jusqu’au mois d’août de l’année dernière, nous avions ici un ministre de la Santé publique qui avait exigé des hôpitaux de ne pas remettre les nouveaux nés à leurs mères aussi longtemps qu’elles n’avaient payé leur facture. Les aspects humains ne l’intéressaient pas ! (...)

D’un point de vue formel, la responsabilité principale revient certainement aux anciens gouvernements grecs. Et les fonctionnaires de la Troïka le répèteront toujours. Cependant, en lisant les mémorandums et les rapports de la Troïka, vous verrez qu’elle a planifié ce programme brutal jusque dans les moindres détails. (...)

Pourquoi nous forcent-ils de faire une telle restriction dans nos dépenses, alors que cela ne mène qu’à davantage de dettes ? Finalement, il ne me reste qu’une seule explication : il s’agit de mettre en pratique une idéologie affirmant que celui qui possède de l’argent a le droit à la vie, celui qui n’en a pas a le droit à la mort.

Autrefois, les médecins grecs demandaient en supplément à leur salaire étatique de l’argent aux patients. Vous aussi ?

Non, je ne l’ai pas fait. C’est insupportable que cela se passe aujourd’hui encore – et qu’aucun de ces médecins n’ait été traduit en justice, pas un seul. Depuis plusieurs mois, j’essaie, au sein de l’association des médecins, d’inciter les comités concernés de s’y opposer. Malheureusement, en vain.

En même temps, il y en a beaucoup qui s’engagent contre la misère. Combien de médecins travaillent gratuitement ici ?

Nous sommes une centaine de médecins de toutes les disciplines et 200 infirmiers et infirmières et aides-soignants.

Combien de cliniques ambulatoires semblables y a-t-il ?

Dans toute la Grèce, il y en a 50, dont huit à Athènes.

Comment vous arrivez à financer cela ?

Nous n’acceptons par principe jamais d’argent, uniquement des dons en nature. Heureusement, nous en obtenons beaucoup de la part de citoyens de toute l’Europe, notamment d’Allemagne et d’Autriche. Une petite partie nous parvient également de France et d’Italie. Le mois dernier, nous avons pu remettre deux chargements de camion de matériel provenant de nos donateurs à des hôpitaux publics.

Ces dons proviennent de Grecs émigrés ?

Non, pas des Grecs, uniquement des citoyens normaux d’autres pays européens.

Donc les citoyens font preuve de la solidarité que leurs gouvernements refusent ?

En Allemagne ou en France, il y des pans entiers de la société qui ne sont pas d’accord avec la politique de leurs gouvernements. J’en ai rencontré beaucoup qui ont honte de ce que leurs gouvernements ont imposé à la Grèce. (...)

Honnêtement, je n’attends pas grand-chose des gouvernements, ni d’ici ni du reste de l’Europe. La situation est trop embrouillée et échauffée. Je puise le plus d’espoir dans l’immense solidarité des gens entre eux, chez nous et par le grand soutien de nos amis en Allemagne et dans d’autres pays européens. Cela me donne du courage. (...)