
Sauf erreur de ma part, le prix du magazine « Litterature du peuple » ne m’a pas été attribué pour mes prouesses littératires, mais pour mon courage. C’est un honneur inhabituel pour moi, en tant qu’écrivain. C’est un peu comme si on vantait les mérites d’un footballeur pour ses qualités de combattant de rue.
C’est embarrassant car je ne suis pas une personne courageuse. Le vértable courage, pour un écrivain, n’est pas de se frotter à un gang mêlé à une affaire de finance pyramidale [thème de son livre « l’élément manquant », ndlr]. C’est de dire calmement la vérité quand tous les autres sont réduits au silence, lorsque la vérité ne peut pas être dite. C’est de parler avec une voix différente, au risque d’encourir la colère de l’Etat et de choquer tout le monde, dans l’intérêt de la vérité, et pour la conscience de l’écrivain.
(...) A partir du moment où j’avais des opinions, je devenais un être dangereux.(...)
Avec toutes mes années d’expérience dans l’écriture et l’édition, je pourrais composer un Glossaire des mots sensibles, dans lequel vous trouveriez assurément les mots ‘système’, ‘loi’, ‘gouvernement’, ainsi qu’un grand nombre d’autres mots, de verbes, quelques adjectifs, et même quelques chiffres. Le glossaire incluerait les noms de toutes les religions, tous les noms de gens importants, y compris bien sûr le nom de la Chine, et l’expression ‘peuple chinois’.(...)
qu’est-ce qui fait qu’un éditeur devient parano ? Je dois avouer que cette peur m’a contaminé. Je voudrais demander quel type de système pourrait faire que moi, qui suis un citoyen respectueux des lois, et un écrivain, vit ainsi dans une peur indescriptible ? (...)
La peur que je ressens n’est pas celle d’un seul écrivain, c’est celle de tous nos écrivains.(...)
Notre langage a été divisé en deux parties : l’une sécurisée, l’autre risquée. Certains mots sont révolutionnaires, d’autres sont réactionnaires. Nous avons le droit d’utiliser certains mots, alors que d’autres sont ceux de nos ennemis.(...)
Lorsque je suis sur une tribune pour recevoir un prix, je me présente dangeureusement comme un écrivain - en fait, je suis un simple criminel des mots.(...)
La seule vérité énonçable est que nous ne pouvons pas dire la vérité. Le seul point de vue acceptable est que nous ne pouvons pas exprimer de ppoint de vue. Nous ne pouvons pas critiquer le système, nous ne pouvons pas débattre des affaires publiques, nous ne pouvons même pas prononcer le nom de la distante Ethiopie. Parfois, je me demande si la Révolution culturelle est véritablement terminée. (...)