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« Trouver refuge » : le livre de l’hospitalité, par Stéphanie Besson
Stéphanie Besson, Trouver refuge. Histoires vécues par-delà les frontières, Glénat, 19,95 €. Préface Edwy Plenel sortie en librairie le 2 septembre 2020
Article mis en ligne le 27 août 2020

Distinguée en 2019 par le prix des Droits de l’homme de la CNCDH, l’association du Briançonnais « Tous migrants » fait la démonstration de la viabilité d’une politique d’accueil. « Trouver refuge », livre de sa cofondatrice Stéphanie Besson, raconte son quotidien. En voici la préface.

Au milieu du récit de Stéphanie Besson, on tombe sur un poème. Un poème-testament. C’est celui de Falah, l’un des « demandeurs de refuge » qui sont les héros de son livre. Un poème qu’il avait offert aux hospitaliers de Briançon, au moment de son départ pour Bourges où un cancer foudroyant le faucha à l’âge de 31 ans. « Tous les regards se tournent vers toi Briançon, disent ses derniers vers. Et si tu étais Dieu, c’est vers toi que je me prosternerais. » (...)

Au-delà de leur religiosité, ces mots simples disent cette évidente vérité : plus haute ville d’Europe, juchée à la frontière franco-italienne, Briançon a sauvé l’honneur, notre honneur de Français et d’Européens, face à la pire tragédie vécue par des migrants, exilés et réfugiés, sur notre continent depuis la Seconde Guerre mondiale. Grâce à l’impulsion donnée par tous les bénévoles de Tous Migrants, l’association cofondée par Stéphanie Besson dont Trouver refuge raconte l’histoire à hauteur d’humanité concrète, le Briançonnais a fait la démonstration pratique, pragmatique et réaliste, que nous ne vivions pas une crise migratoire mais une crise de l’accueil. Une crise de l’indifférence, de l’égoïsme, du repli, de notre part d’inhumanité en somme. (...)

Durant ces dernières années, souligne l’un des témoins cités dans ce livre polyphonique, ce territoire de haute montagne alpine a offert l’hospitalité à autant de migrants que sa capitale compte d’habitants, et ceci « sans incident et sans rejet notoire des habitants ». Et ce que l’on comprend au fil de la lecture, c’est que ce rendez-vous avec soi-même à travers l’accueil de son prochain, d’aussi lointain vienne-t-il, a rendu meilleurs tous ses protagonistes, devenus plus solidaires et moins isolés, plus heureux et moins refermés.

Comme si cette résistance citoyenne aux politiques de rejet et de refus, aux murs dressés par des gouvernants et des pouvoirs de plus en plus répressifs, de moins en moins soucieux du monde, parce qu’elle est menée à l’échelle d’une commune avait, du coup, redonné toute sa force à ce mot synonyme d’égalité : commun. Le commun, ce qui se partage, ce qui fait lien, ce qui relie et réunit. Ce qui n’appartient à personne mais à tout le monde. Ce qui vaut de l’or, d’un or sans comptabilité ni monnaie, sans calcul ni spéculation. D’un or qui ne se marchande ni ne se négocie. D’un or qui n’a pas de prix. (...)

Ce savoir essentiel que l’on ne survit pas sans l’autre accompagne aussi bien la conscience des dangers que la quête d’émotions qu’offrent les échappées terrestres et maritimes où ils s’aventurent. Des instants inoubliables, des solidarités improbables, des horizons vertigineux. Sans se payer de mots, sans bavardage inutile ni vain discours, leur engagement tient donc de l’évidence : il dit ce qu’ils et elles sont, autrement dit des êtres solidaires. Et dès lors, qu’ils me pardonnent cette grandiloquence, des Justes en nos temps incertains et obscurs où la bienveillance et la générosité ont déserté les sommets de nos États. (...)

Tout comme hier un peuple qui en opprimait un autre ne pouvait être libre, aujourd’hui un peuple qui ne serait pas au rendez-vous des solidarités élémentaires avec l’étranger qui cherche asile ne saura plus, demain, les défendre pour lui-même. Pédagogie du chacun pour soi, de l’égoïsme, de l’apathie et de l’insensibilité, ce renoncement essentiel entraînera, inévitablement, une abdication générale. Car derrière la question de l’hospitalité se joue celle de l’égalité : de l’égalité des droits sans distinction d’origine, de condition, de culture, de sexe, d’apparence, de croyance, etc. (...)

En ce sens, les héros et héroïnes qui accompagnent Stéphanie Besson, venus de Syrie, du Soudan, d’Afghanistan, d’Irak et de tant d’autres contrées, nous parlent de nos propres émancipations à partir des enfers dont ils ont réchappé ou qu’ils ont traversés. Le déplacement qu’ils revendiquent, à travers murs, barbelés, polices, armées, centres de rétention, expulsions, traques et persécutions, nous rappelle que nous en sommes aussi le fruit, bénéficiaires des déplacements conquis, de haute lutte, parfois dans la tragédie, souvent dans l’espérance, par les générations qui nous ont précédés.

Défendre leur droit de se déplacer, c’est donc défendre le nôtre. Les sauver, sauver notre âme, l’âme de l’Europe (...)

En quête assumée de puissance conquérante, l’actuelle présidente de la Commission européenne revendique une défense des « valeurs européennes ». Décidément, il faut n’avoir rien appris de l’histoire moderne de l’Europe pour tenir encore ce langage à la face du monde, celui d’un continent, d’une civilisation, de peuples se croyant supérieurs aux autres, pouvant leur en remontrer, autorisés à se barricader dans la certitude du bien et du juste. Quelle différence avec les discours identitaires qui, aujourd’hui, accompagnent les nationalismes xénophobes de par le monde, toujours enrobés d’arguments culturels, que ce soit à New Delhi, à Pékin ou à Moscou, à Riyad ou à Ankara, à Brasília ou à Washington ?

Ce n’est pas le monde, l’étranger et l’ailleurs, mais bien l’Europe qui s’est longtemps nourrie de conquêtes coloniales, et donc de rapines et de massacres, qui s’est durablement enrichie par la traite négrière et l’esclavage, qui a inventé les totalitarismes modernes, produit le crime contre l’humanité, assumé le génocide d’une partie d’elle-même, sa part juive et tzigane. Nul peuple, nulle nation, nul continent, nulle civilisation ne peut se prétendre propriétaire de l’universel. (...)

En ce sens, cette vice-présidence chargée de « promouvoir notre mode de vie européen » ne fait que consacrer et prolonger le renoncement de l’Europe à ses propres valeurs, pour reprendre la langue de sa présidente, dont témoigne si douloureusement la gestion des questions migratoires. (...)