
Cible d’une plainte en France pour « pratique commerciale trompeuse », désigné par une association de consommateurs britanniques comme l’une des marques les moins éthiques du monde, étrillé par l’émission Cash Investigation sur France 2 à qui ses dirigeants ont refusé de répondre, nominé aux Prix Pinocchio comme « l’entreprise ayant mené la politique la plus opaque », la situation ne s’arrange pas pour le géant coréen Samsung. A force de promouvoir, publicités à l’appui, un « monde meilleur » sans bannir le travail des enfants dans ses chaînes d’approvisionnement, sa réputation commence à être sérieusement entachée.
Une enquête retentissante de Cash Investigation, diffusée le 4 novembre sur France 2, a démontré à des millions de téléspectateurs français comment leurs smartphones pouvaient être fabriqués par de jeunes filles chinoises de 12 ou 13 ans. Celles-ci travaillent jusqu’à 13 heures d’affilée, y compris de nuit, pour le compte de marques telles que (dans le cas de l’usine visitée par les enquêteurs de Cash Investigation) Huawei, Wiko ou Alcatel. Autant de pratiques théoriquement illégales en Chine, mais qui restent largement répandues parce que cette main d’œuvre docile et bon marché permet de répondre plus facilement aux commandes en flux tendus des donneurs d’ordres.
L’enquête de Cash Investigation remonte la chaîne de production des portables jusqu’aux mines de tantale de RDC qui approvisionnent Samsung et ses concurrents. Pour y trouver là aussi – entre autres – des enfants au travail. Des organisations non gouvernementales avaient déjà identifié des cas de travail des enfants dans des mines approvisionnant Samsung ou Apple en métaux comme l’or ou l’étain, indispensable à la fabrication des smartphones, tablettes et ordinateurs [1]. Alors, combien d’enfants au travail pour fabriquer un smartphone ?
Des enfants travaillant 11 heures par jour pour Samsung (...)
Le travail des enfants, partie émergée de l’iceberg
Le travail des enfants ne constitue que la forme la plus extrême et la plus frappante de la situation d’exploitation généralisée qui règne dans les usines de l’industrie électronique. Les grandes marques comme Apple, Samsung et Nokia (Microsoft) font fabriquer leurs appareils par des sous-traitants peu connus du grand public. Ceux-ci exploitent des usines notamment en Chine, mais aussi dans le reste de l’Asie, voire en Amérique latine (voir le dossier Industries électroniques de l’Observatoire des multinationales). Les ONG comme China Labor Watch envoient régulièrement des enquêteurs dans ces usines pour dénoncer les atteintes systématiques aux droits des travailleurs et travailleuses qui y sévissent : faiblesse des salaires, horaires à rallonge, problèmes de santé et de sécurité au travail, absence de contrats, management autoritaire... Le cas des sous-traitants d’Apple – Foxconn, Jabil Circuit et, plus récemment, NXP – a particulièrement défrayé la chronique ces dernières années, mais aucune marque n’est épargnée par ces problèmes.
Confrontée à des allégations d’atteintes sérieuses aux droits des travailleurs dans les usines chinoises, Samsung se contente de recourir à un système d’audits sociaux de ses fournisseurs. Mais l’inefficacité de tels audits semblent désormais avérée – particulièrement dès lors que les donneurs d’ordre, c’est-à-dire les grandes marques, ne changent fondamentalement rien à leurs propres pratiques commerciales. Samsung a été classée comme l’une des marques les moins éthiques du monde par l’organisation anglaise Ethical Consumer, et est réputée pour sa culture antisyndicale. Ce qui ne l’empêche en rien de continuer à communiquer allégrement sur sa « responsabilité sociale ». Comme le notent les ONG françaises Peuples Solidaires et Sherpa, « Samsung consacre des moyens énormes à sa publicité mais derrière ses déclarations, ne fait pas grand chose pour améliorer concrètement la situation des ouvriers et ouvrières chinoises ».
Plainte pour « pratique commerciale trompeuse »
Samsung a même fait certifier un de ses smartphones comme « socialement responsable » en Suède (lire l’article de Novethic) ! Un tel écart entre la communication « responsable » d’une entreprise – codes éthique, rapports « développement durable », certifications – et la réalité du terrain est-il tolérable ? (...)
Pas pour Peuples Solidaires et Sherpa, qui ont déposé plainte contre Samsung en 2013 pour « pratique commerciale trompeuse ». « Les engagements éthiques de la marque constituent une publicité de nature à induire les consommateurs français en erreur sur les conditions sociales de fabrication des produits qu’elle commercialise », estiment les ONG.
Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Bobigny, et la procédure suit actuellement son cours. (...)
En attendant, Peuples Solidaires a lancé un nouvel appel urgent pour faire pression sur Samsung afin qu’il mette fin au travail des enfants dans sa chaine d’approvisionnement. L’entreprise coréenne est parallèlement nominée aux prix Pinocchio 2014, dans la catégorie « Mains sales, poches pleines », décernée « à l’entreprise ayant mené la politique la plus opaque au niveau financier, en termes de lobbying, ou dans sa chaîne d’approvisionnement ». Les votes sont ouverts jusqu’au 17 novembre.