
Selon les autorités, une partie des manifestants auraient « volé » le défilé du 1er mai à Paris. Depuis le cortège, et à écouter les témoignages, c’est un autre tableau qui se dessine. Au niveau de la Pitié-Salpêtrière et sur le boulevard Saint-Marcel, des milliers de personnes de tous âges ont été contenues dans une immense nasse, progressivement refermée à coups de matraques et de lacrymogènes. Une partie d’entre-elles ont dû se réfugier dans les halls d’immeubles pour éviter l’écrasement et la suffocation. Fidèles aux consignes données, les forces de l’ordre ont fait preuve d’une agressivité qui, loin de se limiter à ses adversaires déclarés, a brutalisé l’ensemble de la manifestation.
Les dix minutes environ de la charge finale, qui a eu lieu autour de 17h, ont été interminables pour les milliers de personnes écrasées les unes contre les autres, sans autre échappatoire que les cages d’escaliers des bâtiments avoisinants pour celles et ceux qui ont pu s’y engouffrer. Suffoquant, crachant, se tenant les uns et les unes aux autres pour éviter de tomber et d’être piétinées, dans le stress des palets de lacrymogène qui s’abattaient sur les têtes, des explosions de grenades, puis des coups de matraques qui s’approchaient. Une scène de chaos provoquée par une manœuvre inédite des forces de l’ordre, du moins a priori à une telle échelle : transformer la traditionnelle « nasse » en étau, peu à peu refermé sur les manifestants.
Doctrine de « harcèlement » du black-bloc
« Ça castagnait devant nous, et aussi derrière nous, raconte Yoann, un manifestant coincé par la manœuvre. Toutes les rues étaient fermées, impossible de sortir, même pour ceux qui voulaient, poursuit le jeune homme, étudiant à Sciences Po Strasbourg. On avait peur. Il y avait des enfants, des personnes âgées. Des gens faisaient des crises d’angoisse. » « Il n’y avait aucune échappatoire, confirme Benoît, un autre témoin lui-aussi contacté par Basta !. Derrière, ça matraquait. C’est ce qui a fait paniquer les gens. De l’autre côté, il y avait des "voltigeurs" (brigades à moto, ndlr). Ils ont avancé, mais se sont arrêtés au carrefour, car il y avait trop de monde »
Jusque-là, la progression du cortège avait été tranquille, et même plutôt festive. De longs affrontements ont cependant eu lieu à Montparnasse avant son départ, entre 12h30 et 14h. Conséquence, semble-t-il, de la nouvelle doctrine policière de « harcèlement » visant à empêcher coûte-que-coûte la constitution d’un black-bloc. Pris au milieu des premières charges et des tirs de lacrymogènes, les fourgons des organisations syndicales, surmontés des traditionnels ballons aux couleurs des différentes centrales, se sont ensuite retrouvés noyés dans la foule.
« La manifestation était rouge, noire, jaune… c’était tranquille et motivé » (...)
Apparu durant les manifestations contre la loi travail de 2016, le cortège de tête – partie auto-organisée de la manifestation, positionnée devant le carré syndical – n’a cessé, depuis, de gagner en attrait et en nombre. Il peut autant inclure des collectifs de salariés en grève que des étudiants, des précaires, des féministes, des antifascistes, ou des militants politiques venus d’horizons divers à gauche. Des syndicalistes ont pris l’habitude de le rejoindre. Ses membres se retrouvent dans la volonté d’une pratique plus offensive de la manifestation, davantage tournée vers le rapport de force. Un « black-bloc », dont les modes d’actions incluent le recours à la violence et à la destruction de symboles du capitalisme, se place souvent en première ligne, mais n’en constitue qu’une partie.
Dans la radicalité politique qu’il exprime, très ancrée chez les nouvelles générations militantes, et par son caractère auto-organisé, le cortège de tête se prêtait en fait assez naturellement à accueillir les gilets jaunes pour ce 1er mai. (...)
« En chargeant dès le départ, la police a mélangé les œufs ! », nous confiait, amusé, un « gilet jaune » sur le parcours de la manif. « La manifestation était rouge, noire, jaune… c’était tranquille, mais très motivé », résume la blogueuse féministe Emma, contactée par Basta !.