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Thomas Pesquet, le travail de l’ombre des petites mains de la mission Alpha
Article mis en ligne le 24 avril 2021

La mission Alpha est lancée. Sur terre, plus d’un an après leur dernière réunion physique, les ingénieurs du Centre d’aide au développement des activités en micropesanteur et des opérations spatiales (Cadmos) sont parvenus à maintenir le cap de la mission, en contribuant activement à la préparation des expériences qui seront réalisées en orbite.

Pour suivre en direct l’envol des astronautes, les responsables d’expérience se sont réunis à la Cité de l’espace de Toulouse. Pour eux, voir par écrans interposés cette capsule quitter le sol terrestre est un aboutissement. « C’est un travail très prenant et c’est une vraie fierté d’y avoir contribué », se réjouit Florence Clément, l’une d’entre elles. Sa voix empreinte d’émotion ne masque pas une certaine allégresse. Et pour cause : pour les petites mains de l’espace, au cœur des préparatifs de la mission, le chemin parcouru durant près de deux ans n’a pas été de tout repos.

Retour en arrière. Le 23 janvier 2019, le gratin de la recherche française s’est rassemblé pour une grande occasion. Le genre d’événement annuel où l’on retrouve de vieux amis pour trinquer joyeusement aux succès de l’année à venir. Les costards et tailleurs sont de sortie, et les regards tournés vers l’estrade. Nous sommes au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. À quelques mètres des imposantes figures figées des animaux composant, telle une arche de Noé factice, la célèbre galerie de l’évolution, ce beau monde est venu écouter la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, présenter ses vœux.

À la moitié de son discours, l’ancienne présidente de l’université Sophia Antipolis à Nice lâche, sourire aux lèvres mais l’air de rien, une grande nouvelle. « Je pense cette année au Prix Nobel Gérard Mourou ou à l’astronaute Thomas Pesquet, déclare-t-elle. Et ce soir, je suis très heureuse de vous annoncer que le directeur général de l’Agence spatiale européenne a proposé à Thomas Pesquet de retourner très bientôt dans l’espace, pour un vol dont la date devrait bientôt être fixée avec nos partenaires internationaux. » (...)

Le processus qui va mener au décollage de ce qui n’est pas encore la mission Alpha est officiellement sur les rails, et les différents acteurs qui vont y prendre part sont dans les starting-blocks. Car le retour en orbite de Thomas Pesquet constitue une nouvelle opportunité, pour le Centre national d’études spatiales (Cnes) de faire la promotion de l’innovation hexagonale. Il a près de deux ans et demi pour y parvenir. (...)

En France, on veut d’autant plus marquer le coup que Thomas Pesquet sera le premier commandant français de la station.

« Lors d’une mission européenne comme celle-ci, nous avons le droit à une contribution nationale, explique Rémi Canton, qui a été désigné comme chef de projet sur cette dernière. Comme pour Proxima, nous voulons nous servir de cet élan, de l’engouement autour de la mission, afin de préparer un programme d’expériences cohérent. » Un programme qui doit prendre la forme de démonstrateurs technologiques, des expériences franco-françaises créées ad hoc pour Thomas Pesquet lorsqu’il sera sur l’ISS –lors de Proxima, il y en avait eu sept.

Au Cnes, à Paris, et au Cadmos toulousain, c’est le branle-bas de combat. Un appel à idées est lancé en interne et auprès de la communauté scientifique, sous l’égide de l’ESA et de ses fonds propres, avec l’objectif de faire émerger des « tech-demo » qui puissent permettre de nourrir les prochains voyages vers la Lune, et, à long terme, vers Mars. Avec un calendrier serré (...)

Les scientifiques sur le qui-vive

Par chance, dans une communauté scientifique sur le qui-vive, de telles nouvelles se diffusent vite, et les esprits motivés sont légion. (...)

À l’Institut Pasteur, à Paris, Miria Ricchetti, une directrice de recherche, a été informée de l’appel à idées via une connaissance qui a eu des contacts avec le Cadmos (...)

Munie de ces connaissances, la chercheuse propose alors une idée au Cnes, qui deviendra la « tech-demo » Cerebral Ageing. Son principe : envoyer des organoïdes humains –des cellules nerveuses– sur l’ISS, pour voir comment ils évoluent dans le milieu spatial. (...)

Ce qui pourrait permettre, à terme, d’étudier des maladies provoquant des vieillissements précoces.

La genèse d’autres expériences se trouve également dans des remarques de Thomas Pesquet lui-même. Rémi Canton se souvient d’un échange avec son ami astronaute : « Lors du transport vers l’ISS, tout le matériel doit être protégé, pour le mettre à l’abri des vibrations. Mais une fois en haut, ces protections, inutiles, sont rejetées dans l’espace. Thomas nous a donc fait part de son expérience en regrettant que les astronautes se retrouvent avec trop de mousse détruites ensuite dans des navettes cargo dans l’atmosphère. Il nous a donc dit pour rire :“Si je pouvais manger ces mousses, je le ferais.” Donc on l’a pris au mot. » Le résultat : Edible Foams, des trousses de transport dont les parois sont composées de pain d’épices, de madeleines et de pain de Gênes, que les astronautes pourront manger dans l’ISS. (...)

Au-delà du scientifique, le Cnes a aussi voulu, lors du processus de sélection, mettre l’accent sur l’éducatif. « On se doit, en plus de faire des choses innovantes, d’inspirer les prochaines générations », souligne Rémi Canton. (...)

Afin que ces jolies ambitions prennent forme, le Cadmos joue un rôle essentiel. Ses différents ingénieurs, par ailleurs constamment sollicités sur les expériences de Proxima restées sur l’ISS, concoctent en quelques mois un cahier des charges ultra complet pour chaque démonstrateur. (...)

En janvier 2020, c’est le soulagement. Le panel d’experts de l’ESA s’est réuni au Centre européen de recherche et de technologie spatiale (Estec) de Noordwijk (Pays-Bas). Après délibération, il a finalement donné son feu vert à
douze démonstrateurs technologiques

–non sans en laisser quelques-uns sur le carreau. Pour tous les acteurs impliqués sur les projets sélectionnés, c’est le démarrage d’une deuxième phase, plus concrète : celle du développement opérationnel. À l’horizon, cette fois, le second semestre 2021, date prévue pour le décollage de la mission Alpha. (...)

« Les échanges avec les industriels ont été plus compliqués »Heureusement, les équipes du Cadmos sont bien rodées. Si elles ne se voient plus tous les jours comme dans le monde d’avant, la solidarité ne fait jamais défaut. (...) Forcément, la crise sanitaire n’a pas facilité les choses. (...)

Un quotidien chamboulé

Quelques mois de télétravail plus tard, une autre nouvelle inattendue vient perturber le quotidien du Cadmos. « En juillet 2020, Thomas Pesquet a appris qu’une place s’était libérée sur le Crew-2 de Space X, prévu pour partir en janvier 2021, se souvient Rémi Canton. Au départ, il devait partir dans le Crew-3, prévu au mois de juillet, soit six mois plus tard ! [Le décollage sera finalement à nouveau repoussé de 3 mois, ndlr] » En volant dans la deuxième capsule, l’astronaute français avait l’occasion de devenir le premier Européen à embarquer dans la capsule de l’entreprise d’Elon Musk. Il n’a donc pas hésité une seconde. Le calendrier du Cadmos, quant à lui, n’est plus serré. Il est très serré. (...)

Heureusement, les équipes du Cadmos sont bien rodées. Si elles ne se voient plus tous les jours comme dans le monde d’avant, la solidarité ne fait jamais défaut. (...)

La tête remplie de ces multiples informations, Thomas Pesquet décolle de Cap Canaveral, ce 23 avril, avec une vision globale des douze démonstrateurs technologiques développées sur Terre par des dizaines d’hommes et de femmes aux spécialités diverses. En France, loin du tumulte de la Cité de l’espace et des retrouvailles entre les ingénieurs toulousains, Philippe Bioulez ne célèbre pas le lancement de la dernière mission de sa carrière avec ses collègues. À l’heure du lancement, il est au Cadmos, en pleine réalisation de tests pour une expérience, DECLIC, sur laquelle il travaille depuis dix ans. « Elle prend même 80% de mon temps »​​​​​​​, tient-il à préciser.

Au centre de micropesanteur toulousain, Alpha et ses deux ans de travail ne constituent en effet qu’une mission parmi de nombreuses autres, et il faudra vite se tourner vers de nouveaux horizons. Ça ne devrait pas être difficile : dans trois ans à peine, la mission américaine Artémis, et son lot d’expériences préalables, a prévu de ramener l’humain sur la Lune.

Lire aussi :

Un peu moins de 24 heures après le décollage, la capsule transportant Thomas Pesquet et ses trois coéquipiers s’est correctement amarrée à la Station spatialeinternationale (ISS), samedi 24 avril. La manœuvre est survenue vers 11h10, suivant le planning établi. L’ouverture de la porte de la capsule Crew Dragon, nommée Endeavour, pour que les quatre astronautes entrent dans l’ISS, est prévue vers 13h15. Suivez la situation dans notre direct.