
Alors que la rationalité économique plaide pour un durcissement de l’impôt sur les successions, la droite se laisse aller à la démagogie en plaidant contre une hausse forcément impopulaire, dénonçant parfois, à l’image d’Éric Zemmour, un « impôt sur la mort ». La gauche cherche un équilibre entre justice et acceptabilité.
Les sujets qui font consensus parmi les économistes progressistes sont assez rares. L’accroissement de la taxation de l’héritage en fait partie et c’est ce qu’a confirmé une note récente du Conseil d’analyse économique (CAE), instance plutôt orthodoxe, qui a défendu une refonte complète du système actuel en faveur de plus de redistribution.
L’institut rejoignait assez largement les propositions de Thomas Piketty en faveur d’une vaste redistribution des patrimoines au moment des successions. Le consensus économique va même plus loin. En 2021, une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait plaidé aussi pour un durcissement de cet impôt. Globalement, la réalité décrite est celle d’une France qui se transforme à nouveau, progressivement, en une société d’héritiers.
Entre rationalité économique et démagogie
En réalité, économiquement, il n’y a pas grand-chose qui puisse justifier de défendre une protection et une exemption fiscale des transmissions d’héritages immenses. (...)
Mais les libéraux conséquents savent aussi que l’héritage est une rente qui conduit, dans le meilleur des cas, à de mauvaises allocations d’actifs, et dans le pire, comme le présentait Schumpeter, à un affaiblissement de l’esprit d’innovation.
C’est aussi une façon d’écarter les talents venant de ceux qui n’ont pas d’héritage et donc d’empêcher l’afflux de sang neuf dans la bourgeoisie, ce qui, dans l’esprit de Schumpeter, conduira à la fin du capitalisme. (...)
En d’autres termes, que l’on défende l’égalité réelle ou « l’égalité des chances », on ne peut accepter de voir se développer une société d’héritiers et c’est bien le danger de la situation actuelle, si l’on en croit à la fois l’auteur de Capital et Idéologie et le CAE. La France, qui contient plus ou moins les inégalités de revenu, a laissé filer les inégalités de patrimoine. Le système fiscal actuel, avec ses nombreuses exemptions, ne semble pas en mesure de briser le mouvement. Il faut donc le réformer.
Le problème, c’est la perception sociale de l’impôt sur les successions. C’est un impôt très fortement impopulaire, y compris chez ceux qui ne sont pas ou presque pas concernés. Celui-ci apparaît souvent comme une forme d’impôt injuste, qui frappe la mort et s’apparente au vol d’« une vie de labeur », au détriment d’une transmission perçue comme naturelle. (...)
Bien sûr, tout ceci est très artificiel et repose sur un mythe : les grands héritages comme les grandes fortunes sont surtout le fruit d’une vie de « rentes » et de placements financiers, et souvent même d’un précédent héritage. Mais une autre vision domine. Elle est finalement très rurale et ancrée dans une « France d’avant » mythifiée. (...)
La transmission serait le fruit légitime du travail et serait d’autant plus sacrée qu’elle appartiendrait à un défunt.
C’est dans ce contexte qu’un récent sondage publié dans Les Échos indique que 80 % des Français seraient favorables à une baisse des droits de succession. Mais ce même sondage montre nombre d’incohérences. Les personnes interrogées ignorent en réalité le droit fiscal des successions et peuvent être favorables majoritairement à un plafonnement de celles-ci. Il n’empêche, ce refus presque instinctif est utilisé politiquement par les conservateurs, signe du caractère profondément rentier des élites économiques de ce pays.
Dès lors, le dilemme politique est assez complexe. Si l’on suit la cohérence économique, on risque de se retrouver face à la démagogie de ceux qui crieront au « vol ». Si l’on ne traite pas ce sujet par calcul politique, on ne s’attaque guère à un des moteurs principaux de l’inégalité.
Une ligne de rupture dans la campagne (...)
D’un côté, il y a ceux qui, d’Éric Zemmour à Emmanuel Macron, en passant par Marine Le Pen et Valérie Pécresse, tentent de capitaliser sur la détestation de l’impôt sur les successions en proposant de nouvelles exonérations, sans aucune modification du barème supérieur. (...)
le président de la République a évoqué une « transmission populaire » qui pourrait se traduire par de nouveaux allègements et exemptions, tandis que Bruno Le Maire, lui, a défendu un allègement des transmissions en ligne indirecte, sans alourdissement de la fiscalité par ailleurs.
Une chose semble donc certaine : le camp libéral a abandonné sa propre logique économique, qui veut que toute rente nuise à la croissance, au profit d’une forme de démagogie où, allant dans le sens de la doxa dominante, on défend la nécessité d’une baisse des impôts sur les successions.
Par conséquent, le côté de la raison économique se situe clairement à gauche où, globalement, on évoque un durcissement de l’impôt sur les hautes successions. Mais la difficulté politique persiste : il faut convaincre une population réticente. Pour cela, plutôt que de recourir à la démagogie fiscale, on tente de concentrer le tir sur les plus grosses successions et d’insister sur l’utilisation de ces taxes. L’enjeu est alors de rendre socialement et intellectuellement acceptable l’impôt sur les successions. (...)
Dans ce cadre, les programmes à gauche d’Emmanuel Macron s’attachent à réaliser ce qui, cependant, apparaît comme une forme de gageure dans la mesure où le rapport de force politique ne leur est guère favorable et que le sujet est difficile. D’où des choix d’équilibre différents.
La proposition Mélenchon
Pour l’instant, la proposition la plus ambitieuse, mais aussi la plus construite, est celle de Jean-Luc Mélenchon. Reprenant l’idée bien connue du Parti communiste français (PCF) de Georges Marchais en 1981 (« Au-dessus de quatre millions, 100 % d’impôt, je prends tout ! »), le programme de l’Union populaire fixe un plafond maximum d’héritage à 12 millions d’euros. Cette somme est objectivement raisonnable. Même avec la très forte croissance des prix de l’immobilier parisien, elle permet de transmettre des résidences principales et un pactole confortable aux plus fortunés. (...)
Par ailleurs, selon Clémence Guetté, coresponsable du programme du candidat Mélenchon, les successions d’entreprise ne seront pas incluses dans ce calcul. Le pacte Dutreil actuel, qui en organise l’exonération, sera maintenu, même s’il est, précise-t-elle, « par ailleurs souhaitable d’adapter les conditions de durée » (interdiction de revente de trois ans actuellement) et de « favoriser la reprise par les salariés sous forme de coopérative ».
Reste que, pour l’instant, il ne s’agit que d’une « évolution souhaitable » qui ne remet pas en cause l’exonération Dutreil. Dès lors, une partie du patrimoine des héritiers (et de leurs revenus futurs) sera protégée.
Cet élément est caractéristique de la volonté de maintenir un équilibre dans cette réforme des successions : les transmissions d’entreprises sont protégées pour ne pas donner un argument « économique » aux adversaires. (...)