
Plus de 70 lieux culturels sont occupés à travers la France. Parmi les revendications : le retrait de la réforme de l’assurance chômage et l’extension du modèle d’indemnisation des intermittents. Reportage au théâtre de l’Odéon à Paris.
La mélodie s’amplifie devant le théâtre de l’Odéon. L’orchestre est rapidement rejoint par une dizaine de danseurs. Alors que les sauts et portés s’enchaînent, un public intrigué se forme autour d’eux. La musique change. Aux premières notes de « Show must go on », les passants retirent leur veste d’un seul mouvement et toute la place se met à danser en rythme. Une salve d’applaudissements clôt la flashmob tandis que la foule clame en cœur « Occupons, occupons, occupons Odéon » [1]. C’est ici qu’a commencé le mouvement d’occupation des lieux culturels, dans le 6ème arrondissement parisien. Il a vite pris de l’ampleur à travers tout le pays. Du théâtre Graslin de Nantes au théâtre national de Strasbourg en passant par celui de Sainte-Clotilde de la Réunion, 73 lieux culturels sont occupés aujourd’hui à travers la France. (...)
« Que deviendra la liberté de parole si nous n’avons plus une culture vivante ? »
Face à l’arrêt quasi-total des activités du secteur, l’État a décidé de prolonger automatiquement d’un an les indemnisations des intermittents du spectacle. Mais cette « année blanche » prend fin en août prochain, et une bonne partie de 2021 est déjà passée sans que la vie culturelle n’ait pu reprendre. Beaucoup d’intermittents n’auront pas fait leur heures d’ici la fin de l’été. « C’est absurde. On nous oblige à prouver que nous avons fait nos heures alors qu’on nous empêche de travailler », s’indigne Mathilde*, une jeune musicienne venue soutenir la lutte. « Ça fait un an que nous nous battons à bout de bras. Si l’année blanche n’est pas reconduite, 80 % des petits artistes comme moi risquent de cesser leur activité. Ça serait terrible, ajoute Julie. Nous avons besoin de cette diversité. C’est là-dessus que repose le tissu culturel de la France. Que deviendra la liberté de parole de notre démocratie si nous n’avons plus une culture vivante ? » (...)
« Nous n’occupons pas le théâtre en tant qu’intermittents de spectacle, nous l’occupons en tant que chômeurs », souligne Marie. (...)
La réouverture des lieux culturels, loin de garantir un travail pour tous, pourrait au contraire desservir les intermittents du spectacle. Car en donnant l’impression qu’il est à nouveau possible de travailler, ceux-ci pourraient perdre la légitimité d’exiger des indemnisations. Or, après une mise en arrêt du secteur culturel de près d’un an, le travail restera extrêmement difficile à trouver.
Sur la réforme de l’assurance-chômage : « Je n’ai jamais vu ça, un durcissement aussi violent » : des agents de Pôle emploi « horrifiés » par la réforme (...)
« Nous avons eu une année blanche. Ce n’est pas assez, mais c’est déjà beaucoup plus que d’autres. Nous revendiquons une prolongation de l’année blanche et son élargissement à tous les travailleurs précaires » (...)
Ce sont au total 2,3 millions de personnes qui sont dans cette situation de travail discontinu, dans la restauration, la culture, l’événementiel, d’après la Fédération des métiers intermittents. Alors que ces professions sont frappées de plein fouet par la crise sanitaire, aucune année blanche ne leur a été accordée.
« Vendre sa maison et retourner vivre chez ses parents à 50 ans, c’est humiliant » (...)
« Les primo-entrants ne doivent pas être oubliés », met en garde Marie. Les jeunes qui débutent dans le milieu du spectacle n’ont pas pu acquérir le statut d’intermittent. Ils se retrouvent sans possibilité de travailler et sans droits. C’est pourquoi les occupants revendiquent de baisser le seuil d’heures minimal permettant l’accès à l’indemnisation chômage mais aussi un véritable plan de soutien à l’emploi et de reprise de l’activité dans tous les secteurs. « Avoir du travail et que ceux qui n’en ont pas aient des droits », a résumé Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. (...)
Quelle est la réponse du gouvernement ? « Du foutage de gueule », s’énerve Marie. La seule revendication reprise par le gouvernement est de garantir des congés maternités et maladies aux artistes et salariés de l’emploi discontinu. Jusqu’à présent, il faut avoir travaillé un certain seuil d’heures dans les trois derniers mois pour pouvoir bénéficier de ces congés. Après avoir jugé l’occupation des lieux culturels inutile, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a annoncé que le ministère travaillait à des protocoles adaptés aux différents lieux de culture et à l’amélioration du dispositif de primo-entrant dans le régime de l’intermittence. Ces déclarations sont bien loin de satisfaire les militants. « Tant que la réforme de l’assurance chômage ne sera pas abandonnée, les lieux culturels resteront occupés », assure Marie déterminée. Avec ou sans confinement.