
Cinq accompagnants d’élèves en situation de handicap et d’anciens AESH se confient sur cette mission essentielle à l’inclusion scolaire voulue par le gouvernement. Au quotidien, ces agents aident des écoliers ou des collégiens en classe. Deux d’entre eux ont préféré arrêter « à cause d’une situation trop précaire ». Les 132 000 AESH de l’Éducation nationale perçoivent, en moyenne, un salaire de 800 € par mois. Une rémunération en deçà du seuil de pauvreté.
« J’aimais mon métier, mais j’ai arrêté. Il ne me permettait pas de vivre dignement. » Depuis qu’elle a pris sa décision, avant la dernière rentrée, Emmanuelle Le Pors, 44 ans, se dit « soulagée ». La Bretonne a travaillé pendant treize ans comme accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH). À l’école de La Croix Rouge de Brest, chaque semaine, cette ancienne aide-soignante suivait quatre enfants, vingt-sept heures par semaine, « pour un salaire de 860 € net ».
« J’ai travaillé avec des autistes, des dyslexiques, des enfants atteints de troubles du comportement, énumère celle qui reproche aux pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), qui coordonnent les affectations des AESH, un gros manque de communication. Avant de rencontrer les enfants en classe, nous n’avions pas de consignes, ni de dossiers transmis en amont pour nous informer sur leurs profils. On devait se débrouiller. » (...)
« L’acronyme a changé, pas le salaire »
Au téléphone depuis le Rhône, Marie, 59 ans, semble amère et parle, elle aussi, longuement de sa situation « précaire ». « J’ai commencé il y a plus d’une dizaine d’années, d’abord comme AVS [auxiliaire de vie scolaire, l’ancien intitulé du poste] avant de devenir AESH. L’acronyme a changé, mais pas le salaire », ironise cette mère séparée, qui dit gagner 800 € net. Chaque semaine, elle suit quatre enfants, « soit quatre fois six heures. Parfois, je me demande ce que je leur apporte en aussi peu de temps. J’ai la sensation de fournir un travail bâclé, de ne pas pouvoir les pousser davantage vers le haut. » (...)
Myriam (prénom modifié) pense avoir fait progresser plusieurs de ses élèves : « Et si tous ne progressaient pas sur le plan scolaire, certains, qui ne jouaient avec personne au départ, se sociabilisaient. C’était déjà un combat de gagné. Le rôle d’AESH est primordial pour ces enfants qui avancent à leur rythme. »
« En les privant d’AESH, on les envoie dans le mur »
Émilie et Quentin, eux, n’ont pas perdu la flamme. « Mais on a signé un CDI, à 80 %, soit 32 heures hebdomadaires pour un salaire de 1 150 € net, contextualisent ces deux collègues d’un établissement nantais. On gère vingt-quatre élèves en même temps dans des classes dites ordinaires, et aussi en Ulis, l’unité localisée d’inclusion scolaire pour les élèves en situation de handicap, avec une institutrice spécialisée. »
Les deux AESH évoquent une autre difficulté : « Les collégiens qui devraient être admis dans des instituts médico-éducatifs (IME) ou des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep). Mais, faute de place, ils sont scolarisés en classe Ulis ou ordinaire, et éprouvent de grosses difficultés pour étudier malgré l’accompagnement. »
En tant qu’Atsem, « je gagne presque le double »
Aujourd’hui employée dans une ville francilienne comme agent territorial spécialisé des écoles maternelles (Atsem), Myriam touche désormais « presque le double » de son ancienne rémunération. (...)
J’ai aussi arrêté l’AESH car c’est trop difficile de décrocher un CDI. Sans sécurité de l’emploi, je ne pouvais pas avancer, faire un crédit. » Mise en ligne il y a plusieurs mois pour alerter le gouvernement, une pétition intitulée « Soutien aux AESH, stop à la précarité » avait recueilli près de 61 000 signatures au jeudi 22 septembre 2022.
Sollicité pour commenter le statut précaire que décrivent les accompagnants d’élèves, le ministère de l’Éducation nationale indique que, « depuis 2019, le statut de l’AESH a évolué puisque, comme tout contractuel, il peut bénéficier d’un CDI après deux CCD de trois ans. Les possibilités d’évolution professionnelle existent : par exemple, devenir AESH référant, bénéficier de plus de formation, etc. »
Marie, elle, réfléchit plutôt à quitter son poste. Mais la Rhodanienne a peur de se retrouver « privée de chômage ». (...)
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– Marie, AESH à Lyon : « On m’a piégée dans un temps partiel »
« On est prisonnières d’un travail qui n’est pas suffisamment rémunérateur », tempête Marie (il s’agit d’un nom d’emprunt pour préserver son anonymat).
La situation est d’autant plus rageante que Marie n’a jamais souhaité exercer son actuelle profression : accompagnante d’élèves en situations de handicap (AESH) dans une école primaire de l’ouest lyonnais. C’est Pôle emploi qui lui a proposé il y a dix ans un rôle d’assistante de vie scolaire (AVS), devenue aujourd’hui AESH :
« Je me suis fait arnaquer. A la base, je suis secrétaire technique dans le bâtiment. Pôle emploi devait m’accompagner pour me mettre à jour en logiciels, et le travail d’AVS devait me permettre de gagner ma croûte en attendant. »
Avant d’être AVS en 2013 puis AESH, Marie s’était mise en pause de son travail de secrétaire pendant sept ans pour élever ses deux enfants.
Elle a réalisé progressivement que Pôle emploi ne l’aiderait pas à reprendre son ancienne activité professionnelle, faute de formation promise. (...)
Aujourd’hui, Marie est toujours en colère d’être coincée dans une profession si peu rémunératrice.
« Si je démissionne je n’ai plus le droit à l’ARE [l’allocation chômage ndlr], et si je refuse un renouvellement de contrat, Pôle emploi me radie. »
Au fil des années, elle a fini par trouver du plaisir et un sentiment d’accomplissement personnel dans son travail :
« J’adore ce que je fais. J’aide des enfants qui sont un peu différents à exprimer le meilleur de leurs capacités. C’est quand même un boulot dans lequel on se sent utile. »
En ce moment, Marie s’occupe de quatre enfants, en CP, CE1 et CE2. Elle en parle d’ailleurs avec beaucoup de tendresse, multipliant les acronymes savants pour expliquer qu’ils sont, au final, un peu comme tous les enfants (...)
De plus, Marie apprécie beaucoup l’équipe éducative de l’école dans laquelle elle travaille. Elle se sent soutenue. Malgré la réforme des PIAL qui a globalement baissé le nombre d’heures d’accompagnement par enfant en situation de handicap. (...)
Quand Marie a choisi de poursuivre en tant qu’AESH, elle a tenté d’augmenter son temps de travail. A l’origine, elle gagnait 600 euros par mois pour un 50% (...)
On lui a accordé un CDI d’AESH à 66% en 2017, soit un salaire de 850 euros par mois. Un salaire qui n’a plus bougé. Ce CDI a représenté une victoire amère :
« Je ne connais pas d’AESH embauchée à temps plein. On est toutes coincées dans des temps partiels, contraintes à la précarité. » (...)
Aujourd’hui, ses deux enfants de 20 et 23 ans sont en alternance et touchent donc un petit salaire (moins de 800 euros par mois).
Même si la plus jeune habite toujours chez elle, Marie ne perçoit plus les aides de la CAF à destination des mères isolées. Suivant le même raisonnement, le père des enfants a cessé de verser une pension alimentaire. Elle n’a donc que son salaire, soit seulement 850 euros net, et les aides ponctuelles de sa fille pour s’en sortir. (...)
« Je n’ai pas l’argent pour me payer une voiture, je suis complètement dépendante des transports en commun. L’arrêt de bus n’est pas tout près de ma maison, donc ce n’est pas toujours rigolo quand je prend un pack de lait. »
De même, l’établissement de l’ouest lyonnais dans lequel elle officie comme AESH se trouve à trois quart d’heure en bus de son domicile. La liste des difficultés quotidiennes est longue.
Pourtant, ce n’est pas ce quotidien heurté par les privations qui pèse le plus sur le moral de Marie. Ce sont les regrets :
« Ma mère est enterrée en fosse commune. Je n’ai pas pu l’enterrer dignement. Ma mère qui m’a tout donné. » (...)
« J’ai écrit une lettre de six pages à Jean-Michel Blanquer » (...)
Marie en a assez d’encaisser. Elle dénonce ses conditions salariales sur les réseaux sociaux du soir au matin. Elle invective le gouvernement à qui elle reproche une attitude de mépris envers les travailleuses du social, de l’éducation et du soin. Elle écrit même des lettres au ministre (...)
Le nouveau ministre de l’éduction Pap Ndiaye a aussi eu le droit à sa missive dans laquelle Marie propose que les AESH prennent en charge l’aide aux devoirs des enfants en situation de handicap dont elle s’occupe.
« Ils en ont plus que besoin, et moi j’ai besoin de travailler plus. Pour l’instant ça n’existe pas l’aide au devoir pour les enfants qui bénéficient d’une AESH. J’ai reçu une réponse standardisée où on me disait qu’ils prenaient en compte ma demande. J’en ai tellement marre ».
Aujourd’hui, Marie se dit « cassée », et n’ose plus se projeter. Sa retraite, elle ne la voit pas avant 67 ans. De plus :
« Ce sera forcément une retraite de misère », conclut-elle.