
Comédienne connue dans le monde arabe, la Syrienne Fadwa Suleiman a rejoint la contestation en participant fin 2011 aux manifestations pacifiques à Homs. Elle paie aujourd’hui le prix de l’exil. Sa nouvelle arme : l’écriture.
« C’était l’hiver dernier. Ce jour-là, personne n’osait sortir défiler car la révolution était violemment réprimée. Nous tournions en rond chez nous à Damas, j’ai proposé à mes amies : puisque nous ne pouvons manifester, sortons dessiner sur la place publique !

(...) « Je suis syrienne, résistante, comme tous ceux qui ont bravé la peur en descendant dans les rues manifester pour la paix.
Je m’étonne qu’on pense que je suis seule dans mon cas. Il y a plein de manifestants issus des minorités qui demandent les changements, seulement ils n’écrivent pas sur leur front : “Je suis alaouite ou kurde ou chrétien ou druze...” Ils s’affichent comme Syriens, résistants et contre les violences ! »
(...)
Déjà bien avant le début des soulèvements, ils travaillaient au changement au sein de cellules déstructurées. Journalistes, artistes, blogueurs, intellectuels, ils continuent d’œuvrer, de manière souterraine.
« Nous voulons une vraie révolution pacifique, nous voulons démanteler le régime et ses services secrets, stopper les haines confessionnelles alimentées par ce même régime, construire de nouvelles institutions et de nouvelles lois qui nous permettent de penser et nous exprimer librement. »
Face aux atrocités de la répression, Fadwa, comme bien d’autres, a décidé de ne pas se taire et de participer aux protestations, sans se cacher. Elle a aussi multiplié les vidéos en ligne, appelant ses compatriotes à se soulever pacifiquement et ne pas tomber dans le piège du confessionnalisme.
Ses armes, l’actrice les a choisies dès les premières heures de la révolution : la force tranquille de l’art, dans son sens le plus profond et le plus mystique. Cet art capable de transformer un ogre en agneau, une tyrannie en démocratie, des flèches empoisonnées et mortelles en fleurs enchanteresses et parfumées.
Dans les moments les plus terrifiants, lorsqu’elle menait les manifestations, cette conviction l’habitait et lui permettait de défier la peur. Sur ce point, elle n’a pas changé, même si ses autres certitudes sont quelque peu ébranlées par la réalité de l’exil dans laquelle elle a été jetée depuis une année. (...)
Traquée par les services de sécurité, elle entre dans la clandestinité.
« Mais comme je m’opposais à toute violence armée, y compris celle de l’opposition, je suis devenue dérangeante pour toutes les fractions armées, dont les salafistes et les Frères musulmans. » (...)
Commence une cabale contre elle. Traitée tour à tour d’agent israélien, de fille de mauvaises mœurs, de complice du régime, de collaboratrice des hommes de Hariri (Rafik Hariri, ex-Premier ministre libanais, assassiné en février 2005 dans un attentat-suicide au cœur de Beyrouth. Les soupçons se sont portés sur les services secrets syriens, ndlr).
En danger de mort – sa tête est mise à prix –, elle sort du pays à travers une filière secrète et trouve refuge à Paris.
« J’avais décidé de ne jamais quitter Homs, mais l’étau s’est resserré et le langage des armes a pris le dessus. Surtout, j’étais devenue un danger pour ceux qui me protégeaient. »
A présent, dans le froid, loin de ses proches, elle constate avec tristesse :
« Au lieu de participer à mon histoire sur place, je le fais sur papier, par procuration. Mon rêve, notre rêve, est devenu cauchemar. Tout ce que je craignais pour la Syrie est en train d’avoir lieu. On se trouve acculés à une intervention militaire. Ce n’est pas le choix du peuple. (...)