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Stagiaires et déjà en burn-out, le difficile apprentissage des élèves en soins infirmiers
Article mis en ligne le 20 mars 2021
dernière modification le 19 mars 2021

Selon l’étude Santé et satisfaction des soignants au travail réalisée en 2008, 21% des infirmières et infirmiers exerçant depuis cinq ans ont déjà fait un burn-out, et ce taux augmenterait de manière régulière avec les années. Mais l’épuisement professionnel et le découragement n’attendent pas toujours le nombre d’années d’ancienneté : ils commencent parfois dès les premiers stages.

« J’étais arrivée au bout du supportable. Un soir, je suis rentrée de ce stage, je me suis assise sur mon lit avec un couteau et j’ai pensé à me tailler les veines. Mais j’ai pensé à ma famille, au mal que cela leur ferait et j’ai renoncé. Je suis juste restée assise là, à regarder le mur, en pleurant pendant toute la soirée », se souvient Anna.
Pressions psychologiques du personnel encadrant

Étudiante en deuxième année de soins infirmiers, la jeune femme est en stage dans un service psychiatrique. Dès le premier jour, « l’enfer » avec sa maîtresse de stage commence. « Elle était inhumaine. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas me voir en peinture, que ma tête ne lui revenait pas, donc qu’elle ferait tout pour me détruire. Cette infirmière, c’était le diable incarné », raconte la jeune élève infirmière, encore traumatisée par ces cinq semaines passées auprès d’elle. (...)

« À cause de ces pressions psychologiques, l’étudiante ou l’étudiant va se sentir constamment menacé et appréhender de croiser dans les couloirs la ou le supérieur responsable de sa formation, explique la docteure Valérie Auslender, médecin généraliste et auteure de Omerta à l’hôpital. Plutôt que de se concentrer sur les soins et la formation, la ou le stagiaire va mettre en place des stratégies de défense pour éviter l’agresseur. Le personnel soignant justifie son attitude par la prétendue incompétence des élèves, alors qu’on leur demande de mettre en pratique les compétences que l’on est justement censé leur transmettre durant les stages ! ».

Pour éviter sa tutrice, Anna passe beaucoup de temps avec les patientes et patients. « Je leur faisais faire des activités yoga, peinture, ping-pong, cela m’occupait l’esprit », se remémore-t-elle. De son côté, la direction de l’hôpital « ne nie pas qu’il peut y avoir des dysfonctionnements », mais rappelle que les relations étroites avec les IFSI (Institut de formation en soins infirmiers) constituent autant de dispositifs d’alerte. (...)

Alors que dans d’autres secteurs professionnels, un stage qui se passe mal est une exception, beaucoup d’élèves en soins infirmiers ont intégré l’idée qu’elles et ils seront confrontés à une forme d’agression –verbale ou psychologique– au cours d’au moins l’un de leurs stages.

D’ailleurs, 85% estiment que leur formation est violente dans la relation avec les équipes encadrantes en stage, selon l’enquête Je veux que ma voix compte, réalisée fin 2014. (...)

« Aujourd’hui, la situation s’est banalisée, parce que selon les élèves, cela fait partie du pack “études à l’hôpital”. Elles et ils subissent, baissent la tête pour avoir leur diplôme », analyse Valérie Auslender.

« Banaliser », le mot est fort, mais d’autres professionnelles ou professionnels l’emploient également.

Il n’existe aucun chiffre précis sur le nombre d’étudiantes et étudiants en soins infirmiers ayant fait un burn-out. Un certain nombre n’en parlent pas et s’isolent, car elles et ils le vivent comme une honte.

« Dans le burn-out, il existe une honte à ne pas gérer la situation, à ne pas y arriver. C’est cette honte qui fait qu’au départ, on n’avoue pas qu’on n’y arrive pas. C’est aussi pour cette raison que l’on compte peu d’arrêts maladie », explique Sandrine Vialle-Lenoël, psychosociologue et auteure de Burn-out : repérer, traiter. (...)

Face au manque de temps et d’effectifs, on considère les stagiaires comme une main-d’œuvre nécessaire. C’est pour cela que dès leurs premières expériences, les stagiaires doivent être opérationnels. Mais leurs gestes sont moins assurés, plus lents... trop lents.

« Un jour, une aide-soignante m’a chronométré pendant un pansement pour que j’aille plus vite, et elle lançait à voix haute combien de minutes je passais », raconte Thomas qui, parce qu’il mettait « trop de temps », en faisait perdre à sa tutrice. Épuisé par ces cadences et la violence des échanges avec ses supérieurs, Thomas quitte son stage, en état d’épuisement lui aussi.

« Les hôpitaux sont dans le découpage de la tâche, dans un chronométrage digne de l’usine, explique la psychosociologue Sandrine Vialle-Lenoël. Or cette organisation du travail produit de l’épuisement et augmente le risque de burn-out », ajoute-t-elle.

« Les stagiaires peuvent être absorbés par le mal-être de l’équipe. Il peut exister une sorte de contamination du burn-out. » Sandrine Vialle-Lenoël, psychosociologue (...)

Cette main-d’œuvre dont la formation n’est pas achevée et doit se poursuivre à l’hôpital devient parfois une charge de travail supplémentaire pour le personnel soignant. « On est en manque d’effectifs pour soigner les patients, donc on n’a pas le temps d’encadrer un ou une stagiaire ! Alors on va lui dire “Tu vas faire ça, parce que je n’ai pas le temps de m’occuper de toi” ; l’un des soucis principaux vient de là, ajoute Maxime, l’infirmier titulaire. (...)

Avec de moins en moins de temps pour s’occuper de leurs patientes et patients, et encore moins pour former des stagiaires, le personnel soignant souffre à l’hôpital. Selon une donnée de l’association Soins aux professionnels de santé (SPS) pour 2015, la moitié aurait déjà fait un burn-out. (...)

Dans ce cercle vicieux de l’épuisement, le rapport de force est souvent en défaveur des étudiantes et étudiants.

Pourtant, les solutions existent pour que les étudiantes et étudiants ne soient pas livrés à eux-mêmes. L’association SPS dispose d’une plateforme téléphonique gratuite et anonyme, qui peut les diriger vers un psychologue. Si l’association n’est pas en mesure de savoir combien de stagiaires la contactent, elle estime que 30 à 35% des appels sont passés par des personnels infirmiers, et que 30% d’entre elles et eux sont en épuisement professionnel.

Des formateurs et formatrices cherchent également des façons de prévenir ces situations de mal-être. (...)