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« Sous la mer, la pollution d’hier est bien là, et elle attend » : les épaves, des bombes à retardement ?
Article mis en ligne le 3 juillet 2021

Des munitions, des épaves pleines de carburants fossiles ou de cargaisons dangereuses gisent au fond de nos mers. Des opérations ponctuelles de dépollution ont bien lieu, mais la masse de ces déchets et leur impact environnemental sont effrayants.

(...) Qu’en est-il du pétrolier Silja, englouti au large de Toulon ? Du chimiquier Ievoli Sun, au nord des Casquets dans la Manche ? Du Grande America et du Foucault, qui ont continué à polluer les plages rochelaises ? On pense aussi à la frégate Laplace, naufragée en 1950 près du Cap Fréhel (Côtes-d’Armor), qui a commencé à fuir cinquante ans après. À l’épave du Peter Sif, un porte-conteneur qui sombre en 1979 en face d’Ouessant, dont des hydrocarbures s’échappent en 1998. (...)

Dresser la liste des bateaux potentiellement polluants perdus en mers françaises depuis les années 1950 est effrayant mais possible. En remontant encore dans le temps, on est pris de vertige (...)

Avant 1900, en compilant les ouvrages historiques recensant le « fortunes de mer », on compte plus de 4000 naufrages dans les eaux françaises.
Fioul, munitions et peintures toxiques

Ce n’est pas parce qu’elles sont hors de vue, noyées dans d’immenses volumes d’eau, que ces épaves deviennent inactives. (...)

Chargé de recenser et protéger le patrimoine culturel sous-marin, Michel L’Hour ne compte plus les alertes lancées à différents ministères sur la dangerosité de certaines épaves : « D’un point de vue environnemental et sanitaire, personne ne s’y intéressait. Pourtant, ce cadeau caché de l’humanité à ses successeurs finira un jour par s’ouvrir. À partir des années 1980, on a proposé de collaborer à la réalisation d’un inventaire. On n’a jamais été missionnés pour. » (...)

L’inventaire précis des épaves potentiellement dangereuses dans les eaux françaises n’existe pas. C’est au citoyen qui cherche l’information de croiser les sources. Depuis 2010, le service historique de la Défense, du ministère des Armées, recense peu à peu les épaves et transmet ses informations au Shom (Service hydrographique et océanique de la Marine) qui publie une carte des épaves, uniquement celles dangereuses pour la navigation [3]. La Marine nationale les évalue à 4000. Interrogé sur le sujet, l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) préfère renvoyer aux cartes réalisées dans le cadre de la Directive cadre stratégie pour le milieu marin. Sollicité, le Cedre (Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux) a répondu ne pas être prêt à aborder le sujet de la cartographie des épaves polluantes, qu’il serait actuellement en train d’étudier. La commission Ospar pour la conservation de l’Atlantique Nord-Est – qui n’a pas non plus répondu à nos questions – édite une carte des sites d’immersions connus d’armes et munitions. À l’échelle internationale, l’Environmental Research Consulting (ERC) a créé une base de données internationale des épaves marines [4].

Pas simple de s’y retrouver. (...)

Ce qui est sûr, c’est qu’aucune zone au large des littoraux Atlantique et Méditerranéen n’est épargnée par les épaves dangereuses. Et que les eaux bretonnes et la Manche en concentrent beaucoup.
« On arrive à un stade critique où les épaves risquent de laisser échapper ce qu’elles contiennent encore »

Pendant les Première et Seconde guerres mondiales, de nombreux bateaux chargés de munitions ou de gaz ont été coulés. À la fin des conflits, en France comme partout ailleurs, d’autres ont volontairement été immergés, comme on glisserait la poussière sous le paillasson. (...)

On pourrait croire que les épaves qui gisent à ces grandes profondeurs peu oxygénées seraient davantage épargnées. C’est sans compter la présence dans ces endroits de la bactérie halomonas titanicae « qui mange le métal », indique Michel L’Hour. Et « les bateaux de guerre utilisaient souvent un carburant pire que le mazout, à base de résidus de charbon », ajoute Jean-Paul Hennequin, président de l’association maritime Mor Glaz. En 2018, la diffusion de Menaces en mer du Nord, un documentaire de Jacques Lœuille sur les épaves polluantes des guerres, provoque des émois et plusieurs questions parlementaires adressées au ministère de la Transition écologique et solidaire. Les réponses restent vagues. À nos questions dans le cadre de cet article, le ministère n’a pas répondu.
Des immersions de munitions jusqu’en 2003

Le pétrole n’est pas la seule menace pour la biodiversité marine. Les munitions aux enveloppes métalliques qui se corrodent et les champs de mines sous-marins sont de potentielles bombes toxiques. (...)

Les risques que font peser ces armes immergées sont « difficiles à évaluer », de l’aveu même de la Marine nationale. « Faute d’études scientifiques précises sur leur état de détérioration. » Régulièrement, des pêcheurs remontent des obus dans leurs filets. Ils les remettent alors à l’eau, notent la position et préviennent les démineurs de la Marine. (...)

Paradoxalement, de 1996 à 2003, la Marine a continué à immerger volontairement et régulièrement des munitions périmées dont elle ne savait que faire à terre. « On a immergé les parties explosives des munitions, désolidarisées des détonateurs, conditionnées dans du métal et du béton », détaille Éric Lavault. D’abord dans la fosse d’Ouessant, puis dans le golfe de Gascogne. En 2003, la Marine a mis fin « définitivement » à cette pratique. Elle aurait le loisir de faire machine arrière, puisque l’article L. 218-58 du code de l’environnement (!) l’y autorise toujours, à titre exceptionnel.
La calamité des bateaux poubelles

Après les guerres mondiales, ce sont des cargos, pétroliers et chimiquiers naufragés qui sont venus agrandir les décharges sous-marines. « C’est la problématique des bateaux pourris qu’on laisse naviguer sur les mers », déplore Jean-Paul Hennequin. Avec son association Mor Glaz, il a réussi à sortir de la circulation et envoyer à la déconstruction des dizaines de bateaux.

Pourtant, des lois existent : l’obligation de contrôles dans les ports pour s’assurer que les navires sont aux normes, la responsabilité de l’armateur en cas de pollution, la hausse de la surveillance du trafic maritime pour réduire le risque de collisions. Mais la pression économique qui pèse sur ce trafic et les ports les fait régulièrement passer au second plan. (...)

Des poissons potentiellement contaminés

Désormais, sur les côtes françaises, rares sont les années sans oiseaux englués dans le mazout et galettes d’hydrocarbures issues d’épaves qui suintent. Ces marées noires perlées et différées dégradent bel et bien la faune et la flore des fonds marins et de l’estran. Au Danemark, au fil des années, près de 400 pêcheurs de l’île de Bornholm ont été grièvement brûlés par des bombes chimiques rapportées dans leurs chaluts. En France, les pêcheurs aussi sont en première ligne. Des accidents isolés ont été recensés, mais pas de cette ampleur.

« J’espère qu’il ne faudra pas attendre qu’il y ait des morts pour agir, s’inquiète Michel L’Hour. On sait que les pêcheurs, grâce au GPS, rasent les épaves, qui sont des nids à poissons. » Que se passe-t-il si les poissons mangent du mercure, de l’arsenic ou de l’ypérite ? « Une contamination chimique de la chaîne alimentaire. Une perte de confiance des consommateurs dans le poisson », poursuit-il. (...)

« On neutralise en moyenne 2000 engins explosifs chaque année, soit quasiment 40 par semaine » (...)

Une équipe d’environ 130 plongeurs démineurs s’occupe de détecter et détruire des munitions immergées jusqu’à 80 mètres de profondeur. (...)

. Mais les plongeurs n’en voient pas le bout, de ces décharges de munitions sous-marines. « On a l’impression d’une lutte sans fin, admet Éric Lavault. À chaque marée, tempête, on en découvre de nouvelles. C’est titanesque. Il y en a pour des dizaines d’années de recherche et de nettoyage. »
« En finir l’immobilisme et la politique de la patate chaude »

Personne, ni du côté des associations écologistes, ni des pouvoirs publics, n’affiche l’ambition herculéenne de nettoyer les océans de tout ce que les générations précédentes y ont jeté. Toute dépollution ou récupération est coûteuse, longue et risquée. « Mais il faut en finir avec l’immobilisme et la politique de la patate chaude, exhorte Charlotte Nithart. Au moment même où les épaves se corrodent et où les risques de pollutions augmentent, chaque gouvernement fait l’autruche en espérant que l’accident ne tombera pas sur lui. (...)

Lors du Grenelle de la mer de 2009, Robin des Bois a obtenu l’engagement du gouvernement de consolider l’inventaire des décharges sous-marines, de réaliser des analyses sur la faune, la flore et les sédiments, de dépolluer et sécuriser les épaves potentiellement polluantes et dangereuses. « Tout cela est resté lettre morte, faute de directives claires des gouvernements successifs et de financements », déplore l’association.

L’Ospar [5] et le Conseil de l’Europe [6] ont alerté et exprimé leur inquiétude sur l’absence de cartographie fiable, l’insuffisance de surveillance et de récupérations des munitions et matières polluantes dans les épaves. Théorie, alertes, réactions lentes ou ponctuelles... Se saisir réellement du problème nécessiterait d’agir davantage, comme la Norvège, seul pays européen qui a commencé le pompage des huiles et d’autres matières toxiques des navires se trouvant au fond de ses eaux.
Par où commencer ?

Les pistes ne manquent pas (...)