Enseignant en banlieue parisienne depuis huit ans, syndicaliste, militant, arabisant, athée, amoureux de l’altérité en particulier et de l’Orient en général, partisan de la séparation de l’Eglise et de l’Etat autant que la la liberté de conscience, convaincu que le chemin du progrès passe par la fin des dogmes religieux hérités du Moyen-Âge, mais tout aussi persuadé du fait qu’on n’émancipe pas les gens contre leur gré, à coups d’interdictions et de stigmatisations, habitué à défendre le bien-fondé de la laïcité en toute clarté, c’est un sentiment mêlé de dégoût et de mépris qui me saisit lorsque je constate l’instrumentalisation croissante du mot "laïcité" pour recouvrir tant les manoeuvres démagogiques du clan au pouvoir que les préjugés culturels et raciaux d’individus haineux et mesquins, jusqu’au sein de l’Education Nationale.
(...) C’est ainsi avec consternation que j’ai appris, au début de ce mois, que des professeurs des écoles de Pantin acceptaient de servir la soupe au chef de l’Etat en invitant les mères de famille voilées à... rester à la maison plutôt que de donner un coup de main à l’école du quartier, ceci bien sûr au nom de l’"émancipation" et de la "laïcité". Dans l’enseignement primaire, rappelons-le, la question du voile ne se pose en rien : mais s’il existait péril en la demeure à ce sujet, il convient de rappeler que l’interdiction des signes ostentatoires, du point de vue des éducateurs, s’impose aux enfants scolarisés et non aux parents.(...)
Même constat au sujet de l’affaire récente du lycée Blanqui de Saint-Ouen -où la chef d’établissement, outrepassant largement ses prérogatives, a convoqué trois jeunes filles pour leur intimer de se défaire au plus tôt de leurs longues robes, tenues suspectées d’être antilaïques, sous peine d’exclusion... (...)
Moi-même enseignant, je crois savoir que, toutes considérations religieuses mises à part, la pudeur de certaines jeunes filles est une chose délicate qu’il nous convient de respecter, d’autant plus que dans le département la mentalité masculine dominante ne brille pas par la finesse en matière d’interprétation des codes vestimentaires féminins... En somme, dans cette affaire, le manque de tact le plus élémentaire le dispute à une sorte de sexisme à l’envers où les filles sont sommées, pour s’émanciper, de s’assumer comme objets - tandis que la "laïcité" est invoquée à tort et à travers.(...)
Plus choquante encore, la réaction molle et timorée des responsables syndicaux dans ces affaires(...)
Alors que les événements me conduisent inévitablement à constater un hold-up de la laïcité par ses adversaires objectifs et historiques - à l’image de Sarkozy, qui prêche l’humiliation des musulmans en même temps qu’il vante le caractère incontournable des "valeurs chrétiennes" - force est de constater que la première conséquence de cette usurpation est la promotion à outrance de l’extrémisme religieux le plus outrancier et le plus répugnant. (...)
athée et partisan de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, je n’aurais pas même de gêne à me reconnaître "islamophobe", "christianophobe" et "judéophobe", pour employer une terminologie à la mode. C’est bien parce que je suis convaincu du bien-fondé de l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école que je m’inquiète des dangers sur cette laïcité-là - la vraie, appuyée sur des mobiles progressistes - de l’opération de perversion systématique des concepts promue aujourd’hui par l’UMP et le Front National.(...)
J’entends, en tant qu’enseignant, rester inflexible sur le chapitre de l’interdiction des signes religieux. Par esprit de justice, j’estime que la loi de 1905 va de pair avec la reconnaissance la plus large possible de la liberté de conscience - car on ne "libère" pas les gens contre leur gré. Je combattrai, a contrario, toute instrumentalisation de la "laïcité" qui irait à l’encontre de ses visées émancipatrices et progressistes. (...)