
Invisibiliser les campements, trier les réfugiés, expulser les migrants économiques et bloquer les départs depuis l’Afrique sont les priorités du gouvernement.
(...) Des migrants « éparpillés » par la force
Le centre humanitaire Paris-Nord, géré par Emmaüs Solidarité, a ouvert en novembre 2016 à la demande de la mairie de Paris. Il vise à mettre provisoirement à l’abri les « primo-arrivants » –les migrants qui viennent de poser pied en France– avant de les rediriger vers d’autres structures d’hébergement. Selon Jalal, certains d’entre eux avaient pris l’habitude de dormir à proximité du centre au nord du XVIIIe arrondissement, sous le tunnel qui relie le boulevard des Maréchaux au boulevard Ney. (...)
À présent, la police les en empêche. Il nous emmène jusqu’à un petit campement, situé sous le périphérique, à la limite de Saint-Ouen, au pied d’une résidence étudiante. Les résidents sont principalement afghans et soudanais. « Ici, la police nous laisse tranquilles », expliquent Isman et Mohammad, emmitouflés dans leurs sacs de couchage. Probablement parce qu’ici, ils sont moins visibles. Avant de partir, ils dissimulent leurs affaires derrière des barrières de chantier.
Tous les migrants que nous rencontrons rapportent des scènes similaires. « Vers quatre ou cinq heures du matin, la police nous réveille et nous demande de partir. » Certains rapportent des violences policières : « Ils nous donnent des coups de pied, ils nous gazent. » Le niveau de brutalité semble toutefois moins élevé qu’à Calais. Redoutant un « appel d’air » qui conduirait les migrants à « s’enkyster » (sic) et la réapparition d’une « jungle », Gérard Collomb s’oppose à l’ouverture de toute structure d’accueil dans le Calaisis et invite les associations qui portent assistance aux exilés à « déployer leur savoir-faire » ailleurs.
« C’est la même politique qu’à Calais »
Autour de Calais, les forces de l’ordre ont empêché des distributions d’eau et de nourriture. Il a fallu une décision du tribunal administratif de Lille, puis du Conseil d’État, pour contraindre la ville de Calais à installer des points d’eau et des sanitaires (elle s’est contentée du strict minimum). Human Rights Watch a rapporté que les forces de l’ordre utilisaient systématiquement du gaz sur les migrants, y compris sur leurs sacs de couchage, leur nourriture et leur eau, rendant celles-ci inutilisables. Traqués par la police, qui les réveille pour les déplacer et confisque souvent leurs affaires, la majorité des migrants de Calais affirmait au mois d’août dormir moins de quatre heures par nuit. Le Défenseur des droits a quant à lui dénoncé des atteintes aux droits « d’une exceptionnelle et inédite gravité ». (...)
les CRS empêchent toute « sédentarisation », obligeant les migrants à se cacher et à se déplacer. En conséquence, ces derniers sont éparpillés dans une quarantaine d’endroits différents à Paris. (...)
Les forces de l’ordre ont pour consigne d’empêcher par la force toute création de campements d’ampleur, à Calais comme à Paris. Cette politique complique le travail des associations (et de certaines collectivités locales comme la mairie du XVIIIe arrondissement) qui souhaitent venir en aide aux migrants. (...)
Malgré ses conditions de vie extrêmement précaires, un campement est aussi un endroit où l’on peut organiser des distributions et proposer de l’aide. Avec des migrants « éparpillés », il est plus difficile d’intervenir. Par ailleurs, les dernières grandes évacuations de campements parisiens s’étaient accompagnées de « mises à l’abri » pour les migrants (dans des conditions qu’ils dénoncent parfois), ce qui n’est pas le cas ici : ceux que la police déloge à l’aube restent à la rue. (...)
le gouvernement actuel affiche sa volonté d’appliquer systématiquement les expulsions des « dublinés ». Selon le ministre de l’Intérieur, elles étaient en hausse de 124% au mois de septembre. Malgré une décision de la Cour de cassation jugeant leur privation de liberté illégale, les « dublinés » risquent toujours d’être placés en rétention en vue de leur expulsion. (...)
L’autre volet de cette politique, c’est l’accélération du « tri » des migrants. Emmanuel Macron croit possible d’enrayer les flux migratoires et refuse toute régularisation massive, comme il l’a encore rappelé cette semaine à la sortie d’une visite des Restos du cœur. (...)
« Nous reconduisons beaucoup trop peu », affirme Emmanuel Macron. Selon Gérard Collomb, en septembre 2017, les expulsions étaient déjà en hausse de 6,5% .
Par ailleurs, le projet de loi sur l’immigration porté par le gouvernement prévoit plusieurs mesures qui durcissent les conditions d’accueil, notamment l’allongement de la durée de rétention des étrangers en attente d’expulsion, qui passerait de 45 à 90 jours, voire à 135 jours en cas « d’obstruction ». Il permettrait également de réexpédier un demandeur d’asile vers un « pays tiers sûr » qu’il aurait traversé avant de venir, y compris hors de l’UE. (...)
Enfin, France Culture et le Temps ont révélé la semaine dernière que, dans le Briançonnais, des mineurs étrangers en provenance d’Italie tout juste arrivés en France sont régulièrement reconduits à la frontière par la gendarmerie. Au mépris du droit, ils sont abandonnés de nuit et en pleine montagne, ce qui met leur vie en danger.
Une route pavée d’embûches
Le gouvernement promet également d’accélérer les procédures de demande d’asile avec la création de 15 postes à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), de 35 postes à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et de 51 postes à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). 12.500 places d’hébergement supplémentaires seront créées en 2018-2019. Enfin, le budget de la mission Immigration, asile et intégration devrait augmenter de 25% en 2018. (...)
Emmanuel Macron a aussi proposé la création de « hotspots », au Tchad et au Niger, c’est à dire des centres pour examiner la situation des demandeurs d’asile avant leur arrivée en France, et les bloquer sur place s’ils ne peuvent pas prétendre au droit d’asile. Il rejoint ainsi l’orientation prise par plusieurs pays européens. Ainsi, l’Italie est soupçonnée de payer des milices libyennes –dont certaines étaient auparavant impliquées dans le « trafic » de migrants– pour empêcher les exilés de partir. En parallèle, la France s’apprête à accueillir un nombre très réduit de demandeurs d’asile évacués de Libye par le Haut-Commissariat aux Réfugiés.
Or, les conditions de détention des migrants bloqués en Libye sont catastrophiques : aux mains des milices, hommes et femmes sont victimes de tortures, d’abus sexuels, d’extorsion et d’esclavage. (...)
la politique migratoire européenne aggrave le problème en bloquant davantage de migrants sur place. Selon le Guardian, l’application de cette stratégie par l’Union européenne est en train de provoquer la formation d’un « goulet d’étranglement cauchemardesque » en Afrique. Pour Médecins Sans Frontières, dans sa tentative de maintenir les migrants hors d’Europe, l’UE « alimente un système criminel ». (...)