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Sobriété énergétique, la solution oubliée : l’enquête de Reporterre
Article mis en ligne le 3 octobre 2021
dernière modification le 2 octobre 2021

La sobriété, un pilier de la transition écologique ? Un nombre grandissant d’experts l’exigent pour économiser l’énergie. Pourtant la sobriété reste méprisée par les politiques. Dans une enquête approfondie, Reporterre révèle les leviers de cette démarche cruciale dans la lutte contre le changement climatique.

Pour le climat, économiser l’énergie est indispensable (...)

Le concept de sobriété, prisé des philosophes antiques qui l’associaient au bonheur et à la sagesse, connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Un nombre croissant d’intellectuels, d’associations et d’institutions (comme l’Ademe, l’Agence de la transition écologique) y voient l’un des éléments centraux d’une transition énergétique réussie, permettant de rompre avec « l’ébriété » de nos sociétés de surabondance.

Concrètement, la sobriété vise à réduire notre consommation d’énergie et de biens matériels par un changement en profondeur de nos comportements et de nos modes de vie. Elle s’inscrit dans une démarche collective, dans la mesure où elle remet en cause les habitudes de consommation qui « structurent » aujourd’hui nos sociétés industrialisées, comme l’écrit Luc Semal dans Sobriété énergétique — Contraintes matérielles, équité sociale et perspectives institutionnelles (éd. Quae). En nous affranchissant de désirs superflus, nous limiterions la pression que nous exerçons sur l’atmosphère et le vivant. (...)

« Évidemment, elle s’adresse à ceux qui ont des modes de consommation irraisonnés et peuvent les réduire » , précise Anne Bringault, coordinatrice des opérations au Réseau Action Climat (RAC). Alors que 3,8 millions de personnes en France sont en situation de précarité énergétique, la sobriété est une affaire d’équité sociale, selon Barbara Nicoloso, directrice de l’association Virage Énergie et autrice du Petit traité de sobriété énergétique (éd. Charles Léopold Mayer). « L’idée, c’est de rééquilibrer les choses, d’arriver à une juste consommation : que les personnes consommant trop arrêtent de le faire, et que celles étant dans une situation délicate puissent satisfaire leurs besoins essentiels, dit-elle à Reporterre. Il faut penser l’énergie comme une ressource vitale devant être accessible à l’ensemble de la population. »

L’ingénieur énergéticien Thierry Salomon, également vice-président de l’association Négawatt, définit la sobriété comme une « intelligence de l’usage ». Il distingue quatre leviers d’économies d’énergie. La sobriété structurelle consiste à réorganiser nos activités et l’espace de manière à favoriser des usages peu énergivores (comme en réduisant la distance entre les lieux de travail, les commerces et les habitations). La sobriété dimensionnelle vise à réduire autant que possible la taille de nos équipements — faire ses courses avec un véhicule d’une tonne n’est par exemple pas indispensable, dans la mesure où un vélo cargo peut souvent faire l’affaire. La sobriété d’usage, elle, invite à modérer notre utilisation desdits équipements — éteindre les écrans publicitaires, limiter la vitesse sur la route ou réparer son téléphone plutôt que de le jeter sont autant de manières de réduire notre consommation, explique-t-il. La sobriété conviviale, enfin, relève d’une logique de « mutualisation des équipements et de leur utilisation » : partager sa tondeuse avec ses voisins, par exemple, permet de diviser par deux les nuisances environnementales que sa production génère. (...)

Ne pas confondre efficacité énergétique et sobriété

Le concept d’économies d’énergie ne doit pas être confondu avec l’efficacité énergétique, qui relève davantage de changements techniques. (...)

Lorsqu’une commune remplace ses lampadaires à incandescence par des lampadaires LED, par exemple, elle améliore l’efficacité de son éclairage public. L’alternative sobre consiste à les éteindre aux heures les moins fréquentées de la nuit. « Changer des ampoules ne demande pas un effort particulier, observe Patrick Behm, responsable du groupe de travail transition énergétique citoyenne au Labo de l’ESS et coauteur d’un rapport sur le sujet. La sobriété est bien plus complexe, car elle demande une remise en cause de nos modes de vie à la fois individuels et collectifs. »

Parce que l’efficacité énergétique ne requiert pas de changement de modèle, les décideurs placent souvent tous leurs espoirs en elle. Mais miser uniquement sur l’innovation technique pour réduire notre consommation d’énergie peut s’avérer illusoire. De manière générale, on observe en effet que l’énergie économisée grâce aux gains en efficacité est bien souvent reportée sur d’autres usages. C’est ce que l’on appelle « l’effet rebond ». (...)

C’est l’une des raisons pour lesquelles la sobriété est, selon lui, un passage obligé : « Sans elle, tous les efforts faits par ailleurs sont gommés. » (...)

Les associations Négawatt et Virage Énergie ont toutes deux chiffré le potentiel d’économies d’énergie rendues possibles par la sobriété. Selon Négawatt, elle réduirait de 28 % notre consommation énergétique d’ici à 2050. (...)

« Il ne sera pas possible de réduire nos émissions de 45 % d’ici à 2030 uniquement par les énergies renouvelables. » (...)

La sobriété peut également agir sur les besoins

En réduisant notre consommation à la source, la sobriété pourrait faciliter la transition vers un système neutre en carbone. Son importance est d’ailleurs reconnue par le Réseau de transport d’électricité (RTE) : dans un rapport publié en juin, il notait qu’une plus grande sobriété permettrait « de relâcher la pression sur le rythme nécessaire de développement des énergies bas carbone ». L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estimait quant à elle dans un rapport récent que, sans changements de comportement, les efforts « d’ores et déjà sans précédent à fournir pour développer les technologies bas carbone » devraient devenir encore plus intenses… et donc difficiles à tenir.

La sobriété ne se justifie cependant pas uniquement par l’urgence climatique. « Imaginons que nous parvenions à décarboner totalement notre système actuel. Aurions-nous pour autant résolu la crise écologique, le problème de la dégradation de la qualité des sols, la pollution occasionnée par les activités minières, l’effondrement de la biodiversité ? Non », rappelle Éric Vidalenc, spécialiste des questions énergétiques à l’Ademe et auteur d’un blog spécialisé sur le sujet. Substituer une source d’énergie à une autre, sans remettre en cause notre système productif, ne ferait selon lui que « déplacer le problème » (...)

Notre modèle économique repose sur un niveau d’extraction des ressources naturelles délétère. (...)

Le caractère fini des ressources nécessaires au maintien de notre société d’abondance pose également question. Certains métaux indispensables à la production des éoliennes, des batteries et des puces électroniques présentent ainsi un risque élevé de pénurie d’approvisionnement, rappelle Barbara Nicoloso. L’ère de la surabondance nous a fait croire à la toute-puissance, dit-elle, mais les limites de notre vaisseau Terre nous rattrapent inexorablement. (...)