
Après la requalification en « atteinte sexuelle » des viols subis par Julie Leriche entre 13 et 15 ans, commis par des pompiers, un large ensemble d’actrices et acteurs de la protection de l’enfance et de féministes s’élèvent contre l’idée qu’elle ait « une part de responsabilité dans les crimes qu’elle a subis et qui l’ont détruite ». Ils et elles demandent dans une lettre ouverte à Emmanuel et Brigitte Macron une évolution de la loi pour protéger les enfants victimes de pédocriminalité.
Monsieur le Président de la République, Madame Brigitte Macron,
Si Julie était votre fille, vous vous souviendriez d’elle à 13 ans, brillante collégienne d’un prestigieux établissement promise à un bel avenir.
Vous auriez vu progressivement décliner sa santé : crises d’angoisse à répétition, notamment en cours. Très admiratifs et respectueux des “soldats du feu”, vous auriez été rassurés à l’idée qu’elle soit régulièrement prise en charge par des pompiers.
Vous auriez assisté sans comprendre à une dégradation de son état. Et un jour, elle vous aurait avoué l’horreur : les viols qu’elle a subis, les viols collectifs de la part de pompiers adultes. Et notamment, à votre plus grand effroi, de la part de ceux en qui vous aviez confiance...
Votre toute petite fille. La prunelle de vos yeux, victime de crimes atroces… Vous auriez alors tout fait pour la protéger. Pour que justice lui soit rendue. Vous l’auriez accompagnée déposer plainte. Vous auriez été à ses côtés sans faillir.
Et là, vous auriez découvert, sidérés, comment la justice peut maltraiter les victimes : Julie vous aurait raconté une audition au cours de laquelle des enquêteurs lui ont signifié que ce qu’elle a subi ne pouvait pas s’apparenter à des viols. Vous auriez été sidérés de lire une expertise présentant votre fille de 13 ans comme "hystérique", voire provocatrice.
Vous auriez assisté à l’effondrement de l’état psychique de Julie face à ce déni et à ces violences institutionnelles. Totalement impuissants, vous auriez vu votre propre fille sombrer dans un gouffre : tentatives de suicide, hospitalisations à répétition, déscolarisation... Et pire : une défenestration la laissant aujourd’hui handicapée à 80%.
Chaque jour, chaque nuit, chaque seconde, vous auriez eu l’angoisse immense de la perdre définitivement.
Mais vous auriez quand même eu l’espoir que la justice de votre pays remette le monde à l’endroit en protégeant votre enfant et en sanctionnant sévèrement ses agresseurs. Tous ses agresseurs : 20 pompiers.
Sauf qu’un jour, la justice aurait tranché. Non, Julie n’a pas subi de viols. Seuls trois de ses agresseurs seront jugés et uniquement pour atteintes sexuelles. Vous auriez ressenti comme un coup de poignard dans le cœur l’idée inaudible et abominable que votre fille, votre enfant, aurait consenti de l’âge de 13 à 15 ans à être violée, c’est-à-dire torturée par des agresseurs adultes. Qu’en d’autres termes, elle aurait une part de responsabilité dans les crimes qu’elle a subis et qui l’ont détruite...
Ce serait insupportable pour vous. Tellement insupportable que vous réfléchiriez sérieusement à faire évoluer la loi et à mettre en place des mesures urgentes pour que jamais plus ni vos enfants, ni les autres enfants de ce pays, ne vivent de telles horreurs....
Voilà ce qu’a réellement subi Julie Leriche, violée de 13 à 15 ans par des pompiers. Et ses parents Corinne et Alain Leriche.
Nous, associations et personnalités oeuvrant pour la protection de l’enfance, associations féministes, élues et expert.e.s engagé.e.s dans la lutte contre les violences sexuelles sommes outré.e.s par la décision de la Cour d’appel de Versailles qui a rejeté le 12 novembre la demande de requalification en viols des crimes subis par Julie.
C’est pourquoi nous vous demandons de prendre en urgence les mesures suivantes :
• Interdire la déqualification des viols et des agressions sexuelles
• Instituer un seuil d’âge de non consentement de 18 ans en cas d’inceste, par adulte ayant autorité, ou sur mineur.e en situation de handicap et de grande vulnérabilité
• Instituer un crime de viol et agression sexuelle spécifique et autonome pour les mineur.e.s de 15 ans ne nécessitant pas de qualifier la violence, la menace, la surprise ou la contrainte
• La prise en compte des psychotraumatismes comme des preuves médico-légales
• La mise en place d’une commission juridique pluridisciplinaire et indépendante pour réévaluer les dossiers de plaintes classées sans suite, faisant l’objet de déqualifications ou de non-lieux.
Enfin, si nous avons conscience du principe de séparation des pouvoirs, nous vous demandons de réfléchir à une solution concrète permettant de rendre justice à Julie et à travers elle, à tous les autres enfants victimes de pédocriminalité vis-à-vis desquels l’institution judiciaire a failli dans une réponse juste et nécessaire au bon fonctionnement de l’Etat de droit.