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Mediapart
Séisme en Turquie : la colère prend le pas sur le deuil
#seisme #turquie
Article mis en ligne le 17 février 2023
dernière modification le 16 février 2023

La mauvaise gestion des secours et l’absence flagrante d’une politique publique parasismique, par un État qui depuis vingt ans a construit sa politique économique sur un secteur du BTP laissé sans aucun contrôle, ont causé des milliers de morts et déchaînent la fureur des victimes.

« Antakya a disparu », répètent en boucle ses habitant·es, errant dans les rues le regard vide, exténué·es et horrifié·es, comme si la répétition de ces mots terribles les aidait à se convaincre de la réalité de la catastrophe. L’antique Antioche est une des villes les plus durement touchées par le double séisme d’une magnitude de 7,7 et 7,6 qui a frappé la Turquie le 6 février et causé au moins 32 000 morts, selon un bilan officiel encore très provisoire. Selon le ministère de l’intérieur, la moitié des bâtiments de la ville se sont effondrés ou ont subi des dommages irréparables.

Pourtant, malgré l’ampleur des destructions dans cette ville, où le nombre de victimes serait le plus élevé du pays, les autorités de l’État y étaient encore pratiquement invisibles mardi 7 février, au lendemain de la catastrophe. Désemparé·es, frigorifié·es, les survivant·es cherchaient à sortir leurs proches des décombres. (...)

Comme il l’avait fait l’année dernière, lors de la catastrophe minière d’Amasra, qui avait coûté la vie à quarante-trois mineurs, le président turc a invoqué la main du « destin », se référant à la théologie islamique selon laquelle le moment et les circonstances de la mort des individus sont écrits dès leur naissance. « Pourtant, après le tremblement de terre de 1999 [à Izmit, non loin d’Istanbul, qui avait fait 18 000 victimes – ndlr], il ne se privait pas de critiquer le gouvernement, il n’y avait pas de destin à l’époque », s’emporte un sauveteur de l’association Marsar, à l’aéroport d’Adana.

Les sauveteurs empêchés (...)

« Ils ont saboté ces organisations, tenté de tout centraliser autour de leur création, l’Afad, censée gérer et organiser la réponse à ce type de crise, et voilà le résultat », peste Nasuh Makuri, le fondateur d’une des principales associations de secouristes, Akut (...)

L’Afad, organisme de gestion des catastrophes naturelles créé en 2009, cristallise les critiques. (...)

L’ampleur de l’incurie des services de l’État autorise même les pires questions : « Est-ce que c’est parce qu’ils sont alévis que l’on a laissé mourir ces gens ? », s’interroge Deniz, alors qu’Antakya, comme la ville voisine de Samandag, compte historiquement un nombre important d’alévis (adeptes d’une croyance hétérodoxe qui s’inspire du chiisme mais aussi de croyances chamaniques turques) et surtout de Turcs et Turques arabophones et alaouites.

« Sommes-nous des citoyens de seconde zone ? Pourquoi l’État décide ainsi de nous abandonner ? Parce que nous lui sommes opposés ? » (...)

Si la gestion des secours suscite l’indignation, c’est surtout l’état d’impréparation et l’absence de politique parasismique qui déchaînent la colère de la population turque. Le risque, extrêmement élevé, est pourtant bien connu des sismologues, géophysicien·nes et même des historien·nes : Antakya, par exemple, a été rasée au IIe siècle par un séisme, et un autre, en 1822, a fait 20 000 victimes. Les scientifiques ne cessaient de prévenir de l’imminence d’un incident sismique sur la faille sud anatolienne, sans trouver d’écho dans les politiques publiques. (...)

La proximité du parti au pouvoir avec certaines grandes holdings de la construction et les accusations de corruption dans l’attribution de contrats publics déchaînent depuis des années la colère de l’opposition, qui menace régulièrement les « cinq bandits », comme elle surnomme les principales entreprises du secteur, de représailles dans l’éventualité d’une conquête du pouvoir.

Après le séisme de 1999, un impôt spécial sur les télécommunications avait pourtant été mis en place, connu dans le pays comme « l’impôt sur le séisme ». Mais ces prélèvements, qui ont rapporté 36 milliards de dollars à l’État, semblent en fait avoir été dépensés dans divers secteurs. (...)

« Je n’ai jamais vu un seul contrôle sur les chantiers où j’ai exercé. »
Büşra, architecte stambouliote (...)

Financés par des prêts à taux minimes, encouragés par la complaisance du pouvoir, promoteurs et particuliers ont multiplié les constructions et les agrandissements sans permis, tantôt complètement illégaux, tantôt en dérogeant à certaines normes. Ils pouvaient être certains qu’à l’approche d’une élection, le pouvoir annoncerait une « amnistie générale » qui, moyennant une simple amende (qui a tout de même rapporté plusieurs milliards de dollars à l’État), régulariserait leurs constructions. (...)