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Sans transition alimentaire, pas de transition écologique
Mathieu Soulabaille est chargé de mission à La Fabrique écologique.
Article mis en ligne le 1er septembre 2018
dernière modification le 30 août 2018

Notre système alimentaire, en dégradant progressivement l’environnement duquel il dépend, porte en lui sa propre fin. En plus d’être responsable d’environ 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France, l’agriculture conventionnelle sur laquelle il repose est la première cause de déforestation et de perte de biodiversité dans le monde. Les sols s’érodent, les ressources en eau s’amenuisent, l’épuisement des denrées marines guette. À ce coût environnemental très lourd s’ajoutent les problématiques sanitaires et sociales : l’obésité augmente régulièrement, touchant particulièrement les classes populaires, et la situation de nos agriculteurs se précarise au point qu’ils sont plusieurs centaines à se donner la mort chaque année. Face à ce constat, la transition alimentaire apparaît comme une évidence.

Depuis quelques années, les pouvoirs publics se concentrent sur la manière dont nous produisons et distribuons la nourriture. C’est dans cette optique que sont nées la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (2016), la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (2017) et la toute récente loi Agriculture et Alimentation (2018) (...)

il est illusoire de penser la transition alimentaire comme un défi purement technique. De nombreuses études soulignent d’ailleurs la nécessité d’une modification de nos régimes alimentaires. Ceux-ci ne doivent plus seulement être vus comme une demande à satisfaire, mais aussi comme un objet de politique publique qu’il est possible de remettre en question et de faire évoluer.

Qu’est-ce qu’une alimentation durable ?
En 2010, la FAO [l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture] en donnait la définition suivante : « Les régimes alimentaires durables contribuent à protéger et à respecter la biodiversité et les écosystèmes, sont culturellement acceptables, économiquement équitables et accessibles, abordables, nutritionnellement sûrs et sains, et permettent d’optimiser les ressources naturelles et humaines. » Une alimentation durable se situe donc à l’intersection des sphères environnementale, socioéconomique et culturelle. (...)

Néanmoins, leur intersection n’est pas acquise et il nous appartient de la construire. Pour cela, il faudra nécessairement faire évoluer nos régimes alimentaires. Selon une étude [1] de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), nous consommons trop de charcuterie, trop de sel — par l’intermédiaire des produits transformés notamment — et pas assez de légumineuses. À cela s’ajoute notre consommation excessive de protéines (90 grammes par jour et par personne au lieu des 52 grammes conseillés) et de produits d’origine animale, incompatible avec nos objectifs environnementaux. Rappelons qu’une protéine de bœuf « coûte » 36 fois plus de CO2 qu’une protéine de blé. Le régime est la clé de voûte de la transition alimentaire, car c’est par lui que l’ensemble du système peut évoluer vers un modèle durable. De là émerge naturellement le concept de sobriété alimentaire.

Vers la sobriété savoureuse

Alors, que mangerons-nous demain ? Lorsque l’on recoupe les études sur le sujet [2], quelques grandes orientations se dégagent. Premier constat : nous mangerons un peu moins, mais beaucoup mieux. (...)

De manière générale, la consommation de tous les produits d’origine animale devra être réduite pour atteindre un nouvel équilibre dans lequel les végétaux nous apporteront au minimum 60 % de nos besoins en protéines — contre 40 % aujourd’hui. D’aucuns pourraient y voir un abandon du plaisir de manger. En réalité, il s’agira de faire évoluer nos goûts, de réinventer la cuisine, d’adapter nos traditions et d’en créer de nouvelles. La haute gastronomie française est déjà en train d’emprunter la voie du végétal, aussi savoureuse que stimulante, car tout reste encore à découvrir.

Le défi sera de permettre aux consommateurs de s’approprier ces évolutions nécessaires.

. Les recommandations nutritionnelles devront à l’avenir intégrer leur impact environnemental, mais cela ne sera pas suffisant. Il faut rompre avec l’idée que l’alimentation est un choix purement individuel. D’une part, parce que ce choix entraîne des conséquences pour l’ensemble de la société. D’autre part, parce qu’il s’agit d’une question complexe, sujette à de nombreux déterminismes, qui soulève des problématiques sanitaires et sociales sur lesquelles l’État a le devoir d’agir. Malheureusement, la tendance n’est pas pressée et va parfois même à rebours de l’alimentation durable (le Ceta, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, prévoit une augmentation des importations de viande bovine en provenance du Canada et le projet de loi Agriculture et Alimentation a raté le coche sur de nombreux points). Pour accélérer la transition alimentaire, il faudra une action publique plus ambitieuse. (...)