
L’hiver dernier trois des principaux groupes d’assurances européens (CNP, Allianz et la filiale assurance décès de BNP Paribas) ont été condamnés par les autorités françaises à des amendes « record ». La presse en a finalement peu parlé mais la fraude s’élève à des millions d’euros et a duré des années. Elle reposait pourtant sur un principe simple et qui aurait pu être repéré plus tôt : ces établissements ne recherchaient pas les ayant-droit des personnes décédées et ayant contracté une assurance vie. Plongée dans l’industrie sordide du business de la mort.
Je m’inquiète pour mes proches et je veux que leur soient versées des compensations si je décède subitement ? Je peux faire le choix de souscrire une assurance vie ou à une assurance-décès. Seulement voilà, je ne serai plus là pour m’assurer que mes volontés soient respectées. Mon décès peut aussi très bien survenir sans que je n’ai pris le temps de prévenir mes proches de cette souscription. Que se passe-t-il alors ? Comme le stipule l’article L 132-8 du code des assurances « lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit ». Pour ce faire, mon assureur est censé consulter régulièrement un répertoire national dans lequel les pouvoirs publics consignent les décès survenus (le Répertoire d’Identification des Personnes Physiques ou RIPP). Seulement voilà, par une série de limitations techniques et en traînant les pieds, il fut possible aux plus grands groupes d’assurances de contourner ce règlement pendant des années. (...)
« Pas possible de mourir avant 90 ans » ou la longue vie rêvée de Madame Michu
En France, un établissement de crédit ou d’assurances ne peut exercer ses activités sans bénéficier de l’agrément de la discrète Autorité de Contrôle Prudentiel et de Régulation (ACPR). Cette autorité professionnelle dispose du pouvoir d’enquêter et de condamner les établissements qui se seraient livrés à des entorses réglementaires. En général, une simple remontrance, une chiquenaude et ça repart. Dans une décision du 19 décembre 2014, l’ACPR a pourtant condamné l’assureur ALLIANZ à 50 millions d’euros d’amende. Pour quelles raisons ? Car les recherches effectuées par cet établissement d’assurances auprès du fameux RIPP ont été plus que sélectives. (...)
Les « purges comptables » : sortez la broyeuse
Face à l’ampleur de la fraude, les autorités décident de prélever au hasard des dossiers d’assurés dans les fichiers d’Allianz et de la CNP pour voir comment sont menées les recherches des éventuels bénéficiaires. Chez Allianz, dans 52% des cas les ayant-droit n’ont pas été retrouvés. Les délais d’instructions sont dans tous les cas très importants (Allianz ne disposant que d’une vingtaine de personnes à temps plein pour rechercher les bénéficiaires). Et même lorsque les courriers reviennent en erreur par la Poste depuis le domicile de la personne décédée, l’assureur n’estimait pas cet élément suffisant pour creuser plus avant. A la CNP, ce sont « 88% des dossiers qui sont défaillants ». (...)
Pour ralentir encore un peu plus d’éventuelles indemnisations, Allianz faisait procéder « annuellement à des « purges comptables », faisant disparaître les traces de ces contrats de ses comptes. Cette destruction est illégale, les pièces comptables étant soumises en théorie au moins à un délai de dix ans. Selon la presse financière, Allianz est passé près d’une interdiction temporaire d’exercice pour ces manipulations. Les lignes comptables étaient effacées « cinq ans après le dénouement du contrat (décès ou terme), si aucune prestation n’avait été réclamée ». On parle ainsi d’au moins 114 millions d’euros prélevés entre 1985 et 2006 (...)
Cynisme et impudeur derrière le voile de la complexité financière
Sans aucune moralité, ces établissements d’assurances ont pendant des années prélevé des mensualités sur le compte de particuliers puis ont cherché à ne pas honorer leur part du contrat une fois ceux-ci décédés. Ces pratiques ne concernent pas de petites officines inconnues du grand public mais les principaux groupes européens du secteur. Ces derniers ont mis des années à être condamnés et y compris au cours de l’instruction, les établissements concernés ont tout mis en œuvre pour nier ces pratiques. (...)
y compris après ces lourdes amendes, l’opération reste juteuse. Le Sénat avançait en avril dernier que les stocks de contrat non réclamés s’élevaient en France à près de 4,6 milliards d’euros[2]. De quoi payer un timbre au tarif lent pour prévenir les enfants de ceux dont on n’a pas supprimé purement et simplement les contrats d’assurance-vie.