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Libération
Sans herbicide, la récolte est plus belle
Article mis en ligne le 27 septembre 2012
dernière modification le 24 septembre 2012

En Côte-d’Or, une expérience de l’Inra, réalisée ces dix dernières années sur 20 hectares, prouve qu’une agriculture écologique et productive n’est pas une utopie.

« Et voilà notre fierté de l’année. » D’un geste large, Nicolas Munier-Jolain, de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) balaye le champ de blé. Nous sommes début juillet, le grain sera moissonné d’ici peu. Le champ semble banal aux yeux du citadin. L’œil exercé de l’agriculteur, lui, aurait tout de suite repéré des détails révélateurs. Cet étrange mélange de blés sur un seul champ, les uns très « barbus », les autres non. Ou la densité du semis, deux fois plus élevée que d’ordinaire. Il sursauterait à la vue de ces quelques chardons, des liserons par-ci par-là, grimpant sur les blés, des coquelicots mettant une touche de rouge. Surtout, au milieu du champ, quelques dizaines de mètres carrés où dépassent de nombreuses têtes de vulpins pourraient bien l’alerter. Des « mauvaises herbes », admet l’agronome qui précise toutefois : « Pas en quantités suffisantes pour affecter réellement le rendement. » (...)

Or, poursuit Munier-Jolain, « ce champ n’a pas reçu le moindre traitement d’herbicide depuis douze années consécutives ». Le citadin se contenterait de soulever un sourcil, d’opiner que « c’est bien, une agriculture qui pollue moins ». Les agriculteurs, dotés de cette information, se montrent surpris, admiratifs ou dubitatifs, comme en témoignent les visites nombreuses.

Selon leur expérience, c’est un champ de mauvaises herbes qu’ils devraient avoir sous les yeux et non un champ de blé où les mauvaises herbes semblent contrôlées à un niveau acceptable. D’où le « vif intérêt [qu’ils manifestent] », raconte Munier-Jolain.

Ce champ de blé si particulier se trouve sur le site d’Epoisses (Côte-d’Or) de l’Inra, près de Dijon. Pas moins de 140 hectares où agronomes, biologistes, ingénieurs et techniciens réalisent des expériences en plein champ, sur « l’agroécologie de la parcelle cultivée ». (...)


Formidable retournement de situation.
Depuis dix mille ans, l’agriculteur lutte contre les « mauvaises herbes ». Après les avoir presque inventées. « S’il n’y avait pas d’agriculture, il n’y aurait pas tant de mauvaises herbes », souligne un brin sarcastique l’agronome. Paradoxe ? L’explication se trouve au cœur d’une vision lucide de l’acte et de la geste agricole depuis ses origines. Cultiver un champ, c’est certes fabriquer un garde-manger gratuit et surabondant pour les « ravageurs » (insectes, champignons, herbivores). Mais c’est aussi préparer le terrain, littéralement parlant, pour les plantes sauvages s’épanouissent dans les mêmes conditions que la plante domestiquée semée. L’agriculteur sélectionne et favorise ainsi l’expansion de ces mauvaises herbes de manière involontaire. L’archéologue suit leur progression, du Moyen-Orient à l’ouest européen, lorsque les agriculteurs y colonisent de nouvelles terres, de 10 000 à 4 000 ans avant J-C. (...)

après quelques années de modélisation du « complexe champ et adventices », la mise sur pied d’une expérience à grande échelle à Epoisses, en 2000. Dix parcelles de deux hectares - un petit champ mais représentatif du réel - y sont consacrées. Mission : tester sur la durée quatre stratégies possibles de réduction des herbicides, en double exemplaire, comparées à une culture en agriculture raisonnée.

L’objectif n’était pas de tester un outil agronomique particulier « toutes choses égales par ailleurs », explique Munier-Jolain. Mais une exploitation la plus proche possible des contraintes réelles d’un agriculteur. Jusqu’au bout de l’exercice : le bilan économique, coûts et bénéfices de la vente des produits.

Quatre stratégies de « protection intégrée » ont été testées avec différents niveaux de diminution des herbicides : -50%, -70% et -100%. S’y ajoute l’objectif de diminuer les engrais, les insecticides et les fongicides dans la perspective d’une agriculture économe en « intrants », durable et moins agressive pour les sols et la biodiversité. (...)

Le bilan technique dressé par l’agronome, publié dans des revues scientifiques (1), semble positif. Les analyses des sols par carottages montrent que le stock de semences des mauvaises herbes n’est pas plus élevé qu’il y a douze ans. La biodiversité des sols en micro-organismes a augmenté comme la densité des fouisseurs (vers de terre). Le bilan en terme d’émissions de gaz à effet de serre est neutre. Le travail supplémentaire lié au désherbage mécanique peut se compenser par un étalement des interventions au long de l’année. Et la diminution du rendement est grossièrement compensée par celle des coûts. (...)

L’agronomie propose des solutions techniques adaptées et non un illusoire et simpliste retour en arrière au défi des herbicides. Mais le cadre socio-économique susceptible de les accueillir reste à inventer. Sa mise en œuvre transformerait l’économie agraire, les circuits de commercialisation et jusqu’aux paysages en s’attaquant aux monocultures et en promouvant des cultures plus diversifiées.