
Hier je n’ai finalement participé à aucune des manifestations étant arrivée trop tard sur Paris ; je pensais me rendre à un rassemblement festif le soir, organisé par les syndicats pour soutenir les caisses de grève, mais j’ai dû y renoncer. Cependant ce déplacement dans Paris a tout de même été riche en rencontres et assez éclairant sur ce qui se passe actuellement.
Milieu de soirée de ce samedi d’entre les deux fêtes de fin d’année, après avoir marché tout l’après-midi, j’ai trop de difficultés pour tenter de parcourir à pieds les 5kms restant pour retrouver ma voiture (stationnée en proche banlieue) ; j’ai décidé d’essayer de prendre un bus.
Après avoir laissé partir 5 bus bondés et plus d’une demi heure d’attente (ce qui n’est rien si on compare avec la situation en banlieue !), j’ai finalement réussi à monter dans un 96 à Richard Lenoir, qui m’a permis d’atteindre la porte de Lilas plus facilement.Ouf !
Ce bus est bondé bien sûr, mais il règne beaucoup de bonne humeur entre les voyageurs ; l’ambiance est propice aux échanges, notamment à propos du conflit social en cours.
J’assiste, alors que nous essayons de monter dans le bus, à des frictions entre les usagers habituels qui rentrent chez eux après une journée de travail et les "touristes et banlieusards égoïstes juste venus faire leurs emplettes" et qui ne font pas assez d’efforts, aux yeux des premiers, pour faire de la place à tout le monde dans le bus. Ce seront les seuls échanges un peu tendus, car j’ai ensuite beaucoup entendu ce beau mot de "solidarité", qui semblait avoir déserté le vocable usuel de ces dernières années ...
Je n’ai entendu personne râler contre le principe de la grève, plusieurs personnes m’ayant même dit que "maintenant, il faut aller jusqu’au bout, on a trop trinqué, ce serait bête d’arrêter la grève et de laisser ce gouvernement continuer à nous écraser ". Soutien majoritaire donc ...
J’ai fait la connaissance avec un jeune garçon parisien, qui m’a expliqué que même s’il soutient le mouvement, c’est dur pour lui, - qui du reste n’imagine même pas qu’il puisse encore y avoir une retraite quand il sera en âge de la percevoir- ; il fait des extras en restauration, avec des horaires très durs, beaucoup de précarité, il a un passe Navigo qu’il a payé en intégralité - puisque les patrons n’ont pas obligation de rembourser 50% comme pour les autres salariés m’a-t-il expliqué - et qu’il n’a pas pu utiliser normalement depuis le début du mouvement ; ça lui fiche un peu les boules, car ce passe Navigo pèse lourd sur ses maigres paies. Il vit avec sa mère dans un petit appartement parisien.
Sa mère est femme de ménage, employée par une association d’aide à la personne ; elle est payée à l’heure, a dû refuser des missions car elle n’a pas la possibilité de s’y rendre en ce moment, surtout quand on l’envoie en banlieue, elle passe beaucoup d’heures dans les transports et au final elle n’aura pas un salaire complet ... Il me dit : "Nous, les salariés précaires et ceux des petites boites, nous sommes très éloignés du monde des syndicats ; c’est inaccessible pour nous, personne ne nous défend, pas de caisse de grève, donc on va payer le vrai prix de ce mouvement. Je n’ai rien contre ceux qui sont à la RATP ou à la SNCF et qui font grève, je ne dis pas qu’il faut que ça s’arrête maintenant sans avoir rien gagné, mais je dis juste que quelque soit le gouvernement, de toute façon nous on y perd à chaque fois. Et tout le monde nous oublie, gouvernement comme syndicats. Pour nous il n’y a pas de caisses de grève, mais je soutiens quand même ceux qui se battent pour l’intérêt de tous.".
Ce témoignage j’avoue que je l’ai pris comme une baffe : je fais partie de la population politisée, j’ai milité par le passé dans des partis de gauche (ou que je croyais tels), j’ai été syndiquée. (...)
Bien sûr qu’il faut massivement abonder les caisses de grève pour soutenir les grévistes, mais ne peut-on pas trouver un système de solidarité qui s’étende aux travailleurs précaires qui paient le prix fort depuis trop longtemps de cette économie néolibérale qui les piétine ?
Si on doit se battre, est ce que ce n’est pas pour eux d’abord ?
Au début du mouvement des Gilets Jaunes, j’ai rencontré beaucoup de ces travailleurs modestes, précaires, qui travaillent dur pour ne pas s’en sortir ou à peine ... Ce sont eux qui m’ont fait rejoindre le mouvement car on se battait enfin pour tout le monde et pas seulement la minorité syndiquée, on rendait visibles les invisibles qui font pourtant tourner ce système devenu fou ... Mais au fil du temps je les vois moins présents ... (...)
Pour moi, ce sont les Gilets Jaunes qui ont rendu possible ce que l’on vit actuellement : ce sursaut populaire, ce regain de solidarité, du partage, de l’envie de faire ensemble, autre chose, autrement.
Bien sûr ce mouvement volontairement désorganisé et pluriel est loin d’être majoritaire et je constate chaque jour les dégâts de l’individualisme forcené, prôné en véritable religion d’Etat depuis trop longtemps ; indifférence, égoïsme, croyance absolue dans les informations formatées des médias mainstream, consumérisme à l’excès ... des gens désabusés qui ont renoncé à tout principe de lutte, même symbolique.
Mais la petite graine de résistance plantée puis entretenue par les Nuits Debout, les Gilets Jaunes, les XR Rebellion et tant d’autres, ne cesse de prendre des forces et de grandir. Le vieux monde peut commencerà se faire du souci : on ne lâchera pas !