
Grièvement blessée à Sainte-Soline, une jeune femme souffre aujourd’hui d’une paralysie faciale. Le procureur de la République de Rennes a ouvert une enquête pour « violence par personne dépositaire de l’autorité publique ». Elle raconte à Mediapart son calvaire et dit surtout sa colère.
Partir en manifestation avec ses ami·es. Faire la route en minibus. Aimer les rencontres faites en chemin. Marcher en écoutant la foule chanter autour de soi. Se dire que c’est le moment, que la journée va être historique, que l’eau c’est vital, que la mégabassine de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) est une bonne cause de combat.
Se retrouver la mâchoire brisée et dévisagée à attendre près de quatre heures allongée sur un matelas pneumatique dans un champ sous les lancers de grenades. Se réveiller le lendemain dans une chambre d’hôpital, seule, avec une paralysie faciale. Avoir 19 ans.
C’est ce qu’a vécu Alix*. Un mois après la manifestation à l’appel des Soulèvements de la Terre, elle a accepté de recevoir Mediapart pour témoigner de ce qui lui arrive. « Ce n’est pas normal ce qui s’est passé. En France, on peut être une gamine et se faire exploser le visage par des personnes censées protéger le peuple, juste pour avoir été là. »
Elle n’a pas encore pu reprendre les cours qu’elle suit à l’université et enchaîne les rendez-vous médicaux plusieurs fois par semaine. Des plaques ont dû être insérées dans son visage pour le reconstituer. Il a retrouvé sa forme mais elle ne sait pas encore si la partie inerte recouvrera sa mobilité. « Je m’estime très chanceuse : j’ai mon œil, mes capacités cérébrales, mes dents. Ça s’est joué à 2 secondes et 4 centimètres. »
Le parquet de Rennes a ouvert une enquête préliminaire pour « violence avec incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours par personne dépositaire de l’autorité publique » – comme pour les trois autres blessés graves de Sainte-Soline. Mais Alix est la seule pour qui le procureur de la République en a pris l’initiative, sans même attendre qu’elle porte plainte. Les investigations doivent établir l’origine des blessures, le lien avec l’action des gendarmes ainsi que les modalités de la prise en charge de la blessée. D’après l’enquête de Mediapart, un peu plus de cinq heures se sont écoulées entre sa blessure et son transport en hélicoptère de la gendarmerie jusqu’au CHU de Tours, le 25 mars dernier. (...)
Aujourd’hui, plus rien ne l’empêche de prendre la parole. « Je vais parler. J’ai le profil parfait : je suis très jeune, je n’ai pas de casier, je suis étudiante. Ils n’ont rien contre moi. » Elle a été entendue par le capitaine de gendarmerie menant l’enquête sur les causes de ses blessures. Elle a écrit un texte pour un livre collectif de soutien aux Soulèvements de la Terre, le mouvement à l’origine de la manifestation de Sainte-Soline. Et elle reçoit finalement Mediapart, après avoir dans un premier temps refusé la rencontre. Le temps est venu de dire son fait. De choisir ses mots et de les exprimer elle-même, en équilibre sur un fil tendu entre émotions et punchlines militantes : « Ils ont détruit mon sourire mais ça ne m’empêchera pas de parler. C’est à moi de montrer que leur truc ne fonctionne pas. C’est mort. Ma génération, elle a une force. Ils ne sont pas prêts. Et le seront jamais. » (...)
Du champ des Deux-Sèvres, elle est rentrée avec « la conviction qu’on a raison de se battre contre l’ordre établi qui est violent. Je le savais. Mais là j’en ai la preuve ». (...)
À partir de là, Alix se souvient. « J’avais mal. Je suis transportée une première fois par les bras et les jambes, puis sur un matelas gonflable. Sept personnes me portent. L’une me tient la tête. Ils me posent une première fois. J’étais couchée par terre quand des quads arrivent vers nous et se sont mis à nous tirer dessus. » Cet épisode a été raconté par plusieurs personnes, dont Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’EELV et l’eurodéputé Benoît Biteau.
Le témoin raconte par écrit que le médecin qui les accompagne, alerté en tant que medic, et reconnaissable à son sac rouge à bande fluo, son gilet blanc et son pantalon écarlate, s’est alors avancé vers les gendarmes pour leur demander de laisser passer la blessée. Il ajoute que le soignant leur racontera a posteriori « qu’il a été mis en joue par un des policiers malgré le fait qu’il était bien reconnaissable ». Il entend aussi le médecin appeler les secours, en vain. (...)
alors qu’elle commence à recouvrer ses esprits, sa chambre d’hôpital est perquisitionnée. « Des soignants sont entrés dans ma chambre : “Les flics sont là, est-ce qu’ils peuvent entrer dans votre chambre ?” J’ai dit qu’il en était hors de question. Ça m’a mise en colère, ça ne leur suffisait pas de m’arracher la tronche, il fallait en plus qu’ils viennent me faire chier. » Ses vêtements, chaussures et son téléphone portable sont saisis. « Heureusement, j’avais noté quelques numéros parce que j’avais peur de ne plus avoir de forfait. » (...)
le souvenir de Sainte-Soline laisse une marque brûlante : « Après l’action, je me suis dit qu’on savait déjà que l’État nous tue en ne faisant rien pour le climat. Et là, j’ai eu l’impression de voir une tentative de meurtre. Je me suis dit : ils veulent nous assassiner. Et j’ai eu l’impression qu’ils voulaient nous faire vivre une défaite. » Le parquet de Rennes appelle les témoins directs à se faire connaître pour verser leur récit à la procédure. L’enquête judiciaire concernant Alix devrait encore durer plusieurs mois.