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Mediapart
SNU : « L’idée s’est installée que les jeunes doivent être mis au pas »
#SNU
Article mis en ligne le 13 janvier 2023

Le service national universel, ersatz de service militaire pour les jeunes de 15 à 17 ans, pourrait être généralisé dans les toutes prochaines semaines. Pour la sociologue Florence Ihaddadene, le SNU est surtout une mise au pas de jeunes considérés, par les gouvernements successifs, comme des sous-citoyens. 

(...) Comme pour beaucoup de réformes importantes, la décision reviendra au seul chef de l’État, qui sème ici et là des allusions à une généralisation que la secrétaire d’État en charge du SNU, Sarah El Haïry, appelle de ses vœux depuis des années. L’an dernier, le SNU n’a rassemblé que 32 000 jeunes. (...)

la question est remise sur la table avec force, les conseillers et ministres se gargarisant dans les colonnes de nos confrères d’un programme « structurant, générationnel », « quelque chose qui restera dans les esprits en fin de quinquennat ».

Pour rappel, le SNU s’est construit en trois phases : un séjour de cohésion, de deux semaines, une mission d’intérêt général, puis un engagement volontaire pour celles et ceux « qui veulent aller plus loin dans leur parcours d’engagement »… et qui ressemble à s’y méprendre à un prêt de main-d’œuvre gratuite pour des associations en manque de forces vives. 

Les séjours de cohésion, encadrés par des anciens de l’armée, de l’éducation nationale et par les associations, sont rythmés par des levers de drapeaux, des hymnes, des exercices militaires. Les lieux où dorment les volontaires sont organisés comme des casernes et les encadrants se font appeler « tuteurs de maisonnée », « capitaines ». Dans certains séjours, les sévices physiques et les punitions collectives sont monnaie courante, comme l’ont décrit plusieurs jeunes et tuteurs depuis le lancement du programme et comme nos confrères de Rue89Strasbourg l’ont déjà documenté. (...)

Pour la sociologue Florence Ihaddadene, spécialiste des politiques publiques dédiées aux jeunes, les dérives militaires du SNU sont la conséquence directe de la présence de l’armée dans l’organisation mais ne constituent pas le cœur du programme. Selon elle, le SNU viserait plus à former de futurs citoyens et salariés dociles que des défenseurs de la patrie.

Entretien. (...)

Il y a d’abord les révoltes des quartiers populaires de 2005 et les manifestations étudiantes contre le contrat première embauche (CPE) en 2006. Après ces années-là, il y a eu un discours très fort sur la disciplinarisation des jeunes, notamment ceux issus des quartiers populaires que Nicolas Sarkozy prétend « nettoyer au karcher ». On a assisté à une rigidification des rapports entre la police et les jeunes, et s’est installée l’idée que les jeunes sont oisifs, assistés, pas assez disciplinés et qu’il faut donc les réprimer, les mettre au pas, notamment sous les drapeaux. (...)

Une autre des dates importantes pour comprendre comment on en est arrivés au SNU est celle des attentats de 2015. Après cette date-là, on enregistre une envie chez les Français d’un retour du fait militaire, selon les études d’opinion. (...)

Quand, en 2017, Emmanuel Macron propose sa mise en place, rares sont les personnalités politiques de gauche à s’en émouvoir. En 2022, de La France Insoumise à l’extrême droite en passant par les macronistes, on retrouve différentes versions de ce SNU dans les programmes. (...)

Nombre de responsables politiques adossent leur discours au besoin de sécurité des Français perçu après les attentats de 2015. Ce besoin de sécurité s’explique aussi par la peur, également nourrie par une partie de la classe politique, d’un ennemi intérieur qu’il faudrait combattre. Depuis, on s’est habitués à la présence de militaires dans la rue, dans l’espace public, dans les gares avec l’opération Sentinelle et donc, de fait, à un retour du fait militaire dans nos vies. (...)

Cela fait d’autant plus consensus qu’en France les jeunes sont considérés comme des sous-citoyens ou des moindres citoyens qui doivent toujours prouver leur attachement à la nation. L’un des signes de cette sous-citoyenneté, c’est qu’ils n’ont pas accès aux droits sociaux avant 25 ans (comme par exemple l’accès au RSA), parce que, comme le remarque le politiste Tom Chevalier, les aides sociales sont familialisées, accordées aux familles et non pas aux jeunes. Cela instaure une dépendance forte, mais surtout ce schéma est calqué sur la réalité des catégories aisées, dans lesquelles les enfants font des études jusqu’à 25 ans, finissent leurs masters puis travaillent, et ne s’adapte pas du tout à la réalité des familles ouvrières par exemple, pour lesquelles l’âge limite de 25 ans ne correspond souvent à rien. 

Tous ces jeunes-là, en plus de ne pas avoir accès à certains droits sociaux, arrivent sur un marché de l’emploi extrêmement concurrentiel. Ils doivent prouver qu’en plus de leurs compétences ils sont de « bons citoyens », bien insérés dans la société, et l’inscription du SNU sur leur CV sert aussi à ça. (...)

Dans le SNU, on inculque aux jeunes un tas de règles qui servent plus les patrons que la patrie. 

Sauf que depuis que le SNU est lancé, les récits de punitions collectives, de pompes sous le soleil, de violences se multiplient et laissent entrevoir de nombreuses dérives militaires lors des séjours du SNU… (...)

Le SNU, c’est aussi un cadeau qui est fait à l’armée (...)

Ce n’est décidément pas anodin que le secrétariat d’État de Sarah El Haïry, qui est l’ancrage du dispositif, soit rattaché en même temps aux ministères de l’éducation nationale et des armées. C’est vraiment une nouvelle conception de la prise en charge de la jeunesse, au détriment notamment des programmes jeunesse et sport. (...)

Dans les encadrants, il y a des retraités de l’Éducation nationale, du ministère de l’intérieur, des bénévoles des associations… On peut déjà remarquer que, pour l’instant, le SNU repose sur le travail de personnes qui sont en dehors du monde du travail et qui ne sont pas spécifiquement formées pour un tel encadrement. On s’interroge toujours sur la nécessité d’aller chercher des travailleurs non salariés dans cette période de fort chômage. (...)

L’exécutif est-il prêt à cette généralisation annoncée du SNU ? 

Pas du tout. Vu comment se sont passés les derniers séjours, c’est clair qu’ils n’ont pas les infrastructures nécessaires pour accueillir toute une classe d’âge. (...)

Par ailleurs, ils parlent de généralisation et non pas d’obligation parce qu’à mon avis ils savent très bien qu’ils ne sont pas en capacité d’obliger les jeunes. (...)

Enfin… vu le contexte social inflammable, imposer à tous les jeunes ce programme maintenant serait, politiquement, très dangereux pour le gouvernement. Et en attendant, toujours rien de concret sur les aides d’urgence pour les jeunes chômeurs, toujours pas de RSA pour les moins de 25 ans, aucune réponse sérieuse sur la précarité étudiante.