Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Claude Guillon
« SAUVÉES PAR LE GONG » ? - Femen (suite et fin)
Article mis en ligne le 13 mars 2013

(...)
Même si je ne prétends pas m’être livré à une revue de presse exhaustive, et bien que m’étant épargné la lecture du livre d’entretiens récemment publié chez Calmann-Lévy, je considère que les éléments d’information recueillis suffisent à confirmer et à préciser les remarques critiques que j’avais formulées dans « Quel usage politique de la nudité ? ». Je les complète donc ici - et une fois pour toutes - non que j’attache une importance démesurée aux bévues d’une poignée de jeunes femmes en colère, mais parce qu’elles ont réussi, et je crains que ce soit là leur principale réussite, à susciter via les médias quelques questions (des vraies et des fausses), lesquelles engendrent des débats (souvent faux), lesquels risquent d’aggraver une confusion générale qui n’a pas besoin ça... (...)

J’ignorais tout bonnement que les militantes ukrainiennes ient déjà posé pour un journal de mode, en tant que porte-manteau de vêtement de marque et d’accessoires de luxe. Et ce non pas comme individues contraintes de gagner de quoi vivre, mais comme militantes Femen, c’est-à-dire seins nus et avec des slogans inscrits sur le torse (dans la revue Obsession, émanation du Nouvel Observateur (voir photos).

Ce seul geste marque à mes yeux le comble de la confusion politique, voire de la sottise superstitieuse. Ou bien ces filles incarnent le cynisme vulgaire et profitent de leur notoriété (certes chèrement acquise) pour se faire un peu d’argent et une place au soleil des projecteurs - hypothèse que j’écarte - ou bien elles croient vraiment, et le plus niaisement du monde, que leurs bustes ont acquis une espèce de pouvoir magique : partout où elles les exhibent, elles font avancer la cause féministe... En réalité, la publicité et les journaux de mode ont déjà utilisé et détourné à leur profit toutes les avant-gardes artistiques (le plus nul des publicitaires peut faire « du Magritte » au kilomètre), tous les slogans politiques et bien entendu la nudité féminine. Particulièrement, d’ailleurs, lorsqu’elle est limitée à la poitrine.

Cela ne signifie pas que la tolérance soit équivalente dans tous les pays, mais les publicitaires et les marchands ont l’habitude d’adapter leurs produits (pubs, couvertures de magazines, films) aux intolérances locales.

Au passage, je remarque que les photos vendus à Obsession (et aux Inrocks ?) font mentir (par omission) le « Manifeste Femen » qui ne mentionne pas ce genre de prestations à la rubrique « Financement ». (...)

Le « manifeste » Femen publié dans Charlie Hebdo ne tourne pas autour du pot : « Le mouvement est dirigé par un conseil de coordination dont font partie les fondatrices du mouvement et ses activistes les plus expérimentées. » Les amateures de démocratie directe et d’égalité iront voir ailleurs.

Les entretiens publiés dans la presse confirment et précisent ce parti pris.

Loubna Méliane, 35 ans, ancienne militante de Ni putes ni soumises, déclare dans Causette : « Inna, a l’intégralité du pouvoir décisionnel sur les actions menées à Paris [...]. »

Laquelle Inna répond au même organe de presse : « Comparez les Femen à une armée. Il y a toujours un général et des soldats. » Elle tempère, si l’on peut dire (Libération, 7 mars 2013) : « Le mouvement est éclaté à travers le monde, il faut parfois savoir trancher et prendre des décisions rapidement. C’est arrivé comme ça, mais je reste une anarchiste romantique. »

Passons sur cet « anarchisme », auquel le képi étoilé conviendrait mieux que la couronne de fleurs, et relevons que la hiérarchie est aussi « naturelle » aux yeux des Femen que la domination masculine aux yeux des machistes. (...)

Toute espèce d’engagement militant, d’autant plus si l’on est une femme, d’autant plus si l’on vit dans une dictature militaire ou une théocratie, exige du courage physique. Au cas où l’on ne s’en doute pas de prime abord, on le découvre très vite dans sa chair. Il ne s’ensuit pas que le courage physique constitue un étalon de mesure des actions politiques « efficaces », « valides » ou méritant d’être encouragées. (...)

Inna Schevchenko déclare : « Notre succès, c’est notre courage et le message que l’on délivre au monde. » (Causette)

Des héroïnes en chef sélectionnent les guerrières dignes de montrer leur courage à la face du monde. Le courage est à la fois le message et son « succès ». Nul besoin de discussions, de remises en cause, d’analyse des situations concrètes... Ce serait un temps précieux perdu pour la manifestation suffisante du courage. De ce point de vue, les dents cassées par des fascistes ou des gardiens du temple ne sont pas les inconvénients du métier de militante : ce sont des preuves.
(...)