
En 2013, à la demande du G8, la Banque Mondiale a lancé le projet « Améliorer le climat des affaires dans l’agriculture », ACAA (en anglais « Enabling the Business of Agriculture » ou EBA). Cette initiative vise à noter les pays sur la manière dont ils favorisent les activités des entreprises dans le secteur agricole. Le premier rapport complet de l’ACAA a été publié en janvier 2016. Il fournit une vision détaillée des réformes prônées par la Banque pour créer des secteurs agricoles « prospères », ainsi qu’une évaluation des politiques agricoles de 40 pays |1|.
Parmi plusieurs catégories d’évaluation (Finance, Transport, Engrais, etc.), l’ACAA comprend un indicateur spécifique aux lois semencières. Or, depuis une vingtaine d’années, plusieurs multinationales et pays occidentaux tentent d’uniformiser les lois semencières au niveau global afin de promouvoir l’utilisation de semences industrielles. L’ACAA est l’une des récentes initiatives visant à encourager des lois favorables aux semences industrielles. L’argument mis en avant est souvent que ces semences dites « améliorées » sont nécessaires pour augmenter les rendements agricoles et nourrir une population mondiale croissante.
L’ACAA édicte d’abord de soi-disant « bonnes pratiques » pour réglementer les systèmes semenciers. Ensuite, les pays sont notés sur la façon dont ils appliquent et mettent en oeuvre ces prescriptions. Les « bonnes pratiques » de l’ACAA visent uniquement à faciliter la production et la vente de semences industrielles. Elles comprennent, par exemple, l’accélération et la réduction des coûts des procédures de commercialisation et de certification des semences industrielles, ainsi que la mise en place de droits de propriété intellectuelle (DPI) pour « inciter » les firmes agroalimentaires à produire de nouvelles variétés végétales (pour lesquelles elles pourront ensuite obtenir des droits exclusifs et des profits commerciaux). (...)
Alors qu’il y a peu de chances que les réformes prônées par la Banque Mondiale puissent bénéficier aux agriculteurs, elles contribuent clairement aux profits d’une poignée d’entreprises privées. Six multinationales, toutes basées aux Etats-Unis ou en Europe, contrôlent actuellement les deux tiers du marché mondial de semences industrielles |5|. Au cours des dernières années, ces entreprises n’ont pas ménagé leurs efforts pour prendre le contrôle des marchés des pays en développement, notamment en Afrique. (...)
Le remplacement des semences paysannes par un petit nombre variétés industrielles uniformes entraîne une érosion rapide de la biodiversité. Après la révolution verte des années 1960, les paysans philippins, qui cultivaient traditionnellement quelques 4 000 variétés de riz, ne faisaient plus pousser que 3 à 5 variétés « améliorées » dans leurs champs |9|. La même tendance a été observée dans d’autres pays d’Asie et d’Amérique Latine, entraînant la perte de variétés traditionnelles, la disparition des pratiques de conservation des semences, ainsi que l’endettement et la dépendance des paysans envers des fournisseurs d’intrants commerciaux |10|.
L’ACAA ignore complètement les circuits semenciers locaux, qui fournissent 80 à 90 pour cent des semences utilisées dans les pays en développement et sont les dépositaires de ressources génétiques indispensables |11|. Cette approche biaisée ne peut conduire à la création de politiques semencières intelligentes, inclusives et durables. (...)
Étant donné que la Banque Mondiale exclut les circuits locaux de l’ACAA, elle ignore de nombreuses solutions efficaces et peu coûteuses pour résoudre ces difficultés. Par exemple, la production communautaire de semences et les projets participatifs de sélection végétale améliorent l’accès à des variétés de qualité et adaptées aux conditions locales, et permettent aux agriculteurs d’innover sur leurs propres exploitations |13|. Les gouvernements peuvent aussi établir des politiques de soutien aux producteurs spécialisés dans la reproduction, la multiplication, et la vente de semences locales ; utiliser les services de vulgarisation agricole pour créer des pépinières et banques de semences gérées par les agriculteurs ; ou encore revitaliser les marchés locaux en organisant des foires aux semences |14|. Enfin, il est possible d’améliorer l’accès des paysans aux banques de gènes nationales pour diffuser des variétés locales perdues ou peu répandues. Ignorant l’intérêt de telles actions, l’ACAA recommande que les États facilitent uniquement l’accès aux banques de gènes pour les entreprises privées, et non pour les paysans.
Standardiser les lois semencières comme le fait la Banque Mondiale n’aide pas les gouvernements à mettre en oeuvre des solutions adaptées aux besoins des paysans. Une autre approche nécessiterait une collaboration directe avec les agriculteurs, qui sont les mieux à même d’identifier leurs contraintes et besoins en matière d’accès aux intrants.
Ignorant l’avis de nombreux experts et organisations internationales sur les solutions semencières qui bénéficient aux plus pauvres |15|, l’indicateur ACAA de la Banque Mondiale organise une raréfaction artificielle des semences au profit d’une poignée de multinationales. (...)