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« Rien n’oblige à changer l’âge de la retraite »
#greves #manifestations #retraites
Article mis en ligne le 23 janvier 2023
dernière modification le 22 janvier 2023

L’économiste Michaël Zemmour décrypte les motivations du gouvernement, plus soucieux de compenser les cadeaux aux entreprises que de l’équilibre du système de retraites.

Michaël Zemmour est maître de conférences en économie au Centre d’économie de la Sorbonne (université Paris-I Panthéon-Sorbonne) et chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Sciences Po). Par ses nombreux articles sur le système de retraite et ses analyses sur les projets successifs de la Macronie en la matière, il est l’un des principaux spécialistes de cette question.

Privilégier une approche essentiellement financière, ou comptable, peut-elle constituer un angle satisfaisant pour déterminer des choix politiques en matière de retraite ?

Michaël Zemmour : On ne peut pas s’en affranchir complètement, dans le sens où il y a un cadre qui est une sorte de tableau de bord de pilotage du système de retraite et qui permet d’avoir des points de repère. Toutefois, cela ne doit pas être la seule considération à prendre en compte : il y a d’abord la question du travail, comment on travaille, dans quelles conditions de santé, jusqu’à quel âge… Mais, surtout, il s’agit d’une question fondamentale de choix de société. La retraite fait partie du modèle social, d’un mode de vie en particulier. (...)

ce qui est certain, c’est qu’il n’y a aujourd’hui aucune obligation à avoir une mesure d’âge ou de durée de cotisations à court ou moyen terme.

Ainsi, le gouvernement fait mine de s’inquiéter d’un déficit d’environ 12 milliards d’euros à l’horizon 2027, or non seulement ce n’est pas inquiétant (on pourrait finalement s’en accommoder), mais ce déficit pourrait même être comblé assez facilement, par exemple avec une très légère augmentation des cotisations des salariés de l’ordre de 0,8 %. Cela représenterait un peu moins de 15 euros par mois pour quelqu’un qui gagne le Smic, et un peu plus de 25 euros quand on est au salaire moyen.

Cela, c’est la version la plus coûteuse pour les salariés. Mais il y a bien d’autres solutions : diminuer les exonérations de cotisations employeurs ou revenir sur la baisse des impôts de production. Les marges de manœuvre existent et on les connaît. Simplement, le gouvernement les exclut.

Pourquoi les exclut-il ?

C’est vraiment un choix idéologique : le projet de l’exécutif est de diminuer les prélèvements obligatoires et de baisser les dépenses publiques. Son problème n’est pas d’équilibrer le système de retraite, c’est de parvenir à s’en servir pour faire des économies sur les dépenses publiques. Sans revenir sur les baisses d’impôts aux entreprises ! (...)

Cela apparaît à la page 9 du projet de loi de finances, ou à la page 3 du programme de stabilité transmis à la Commission européenne, où il est expliqué que le gouvernement français s’est engagé dans des baisses d’impôts (comme avec la fameuse TVAE ou la taxe d’habitation), et que, pour que cela ne creuse pas les déficits, il promeut des « réformes structurelles », par exemple « la réforme des retraites ». (...)

Le gouvernement a deux objectifs : mettre davantage de personnes sur le marché du travail, mais surtout une stratégie générale de baisse d’impôts, plutôt sur les entreprises, compensée par une baisse des dépenses publiques via sa réforme du système de retraite. Celle-ci ne repose pas sur un diagnostic sérieux. (...)

C’est ce qui la lui rend difficile à justifier. Elle ne répond à aucun des enjeux réels de la période : l’emploi des seniors, les inégalités femmes-hommes, la question du vieillissement, l’aménagement du travail, etc. Les organisations de salariés ne voient donc pas pourquoi on ferait une réforme, à marche forcée, pour compenser une baisse d’impôts que personne n’a demandée ! (...)

Lorsque vous interrogez les gens sur les retraites, une de leurs priorités est de partir le plus tôt possible.

Certains veulent continuer à travailler, mais, globalement, c’est vraiment une attente parce que, dans beaucoup de formes de travail (bien sûr pour les travaux physiques, les plus pénibles, mais aussi des métiers physiquement plus protégés a priori, de bureau, voire de cadre), il existe une vraie souffrance au travail. (...)

Cette réforme, annoncée pendant la campagne présidentielle et escamotée durant celle des législatives, est très impopulaire. D’ailleurs, le gouvernement cherche moins à convaincre qu’à trouver une voie de passage, alors qu’il sait qu’il n’a pas le soutien de l’opinion publique. (...)

Maintenant, évidemment, les institutions permettent au gouvernement de faire adopter à peu près n’importe quel texte…

En dépit d’une opposition extrêmement claire de l’ensemble des organisations syndicales, y compris la CFDT et les cadres de la CGC. Je veux d’ailleurs souligner que la réforme présentée avant le covid n’était pas du tout la même que celle proposée aujourd’hui : cette dernière est bien plus dure. (...)