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La quadrature du net
Révoltes et réseaux sociaux : le retour du coupable idéal
#censure #ordre #démocratie #laQuadratureduNet
Article mis en ligne le 29 juillet 2023

Les révoltes qu’ont connues de nombreuses villes de France en réaction à la mort de Nahel ont entraîné une réponse sécuritaire et autoritaire de l’État. Ces évènements ont également réactivé une vieille antienne : tout cela serait dû au numérique et aux réseaux sociaux. On aimerait railler cette rhétorique ridicule si seulement elle n’avait pas pour origine une manœuvre politique de diversion et pour conséquence l’extension toujours plus dangereuse de la censure et du contrôle de l’information.

« C’est la faute aux réseaux sociaux »

Aux premiers jours des révoltes, Emmanuel Macron a donné le ton en annonçant, à la sortie d’une réunion de crise, que « les plateformes et les réseaux sociaux jouent un rôle considérable dans les mouvements des derniers jours ». Aucune mention des maux sociaux et structurels dans les quartiers populaires depuis plusieurs décennies, rien sur l’écœurement d’une population vis-à-vis des violences policières. Non, pour le président, c’est Snapchat, TikTok et les autres réseaux sociaux qui participeraient à « l’organisation de rassemblements violents » et à une « forme de mimétisme de la violence » qui conduirait alors à « une forme de sortie du réel ». Selon lui, certains jeunes « vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués ». Il est vrai que nous n’avions pas vu venir cette sortie d’un autre temps sur les jeux vidéos, tant elle a déjà largement été analysée et démentie par de nombreuses études.

Mais si le jeu vidéo a vite été laissé de côté, les critiques ont toutefois continué de se cristalliser autour des réseaux sociaux, à droite comme à gauche. (...)

Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, s’est quant à lui taillé un rôle paternaliste et moralisateur, dépolitisant les évènements et essentialisant une jeunesse qui aurait l’outrecuidance d’utiliser des moyens de communication. Selon lui, « les jeunes » utilisent les réseaux sociaux et se « réfugient derrière leurs téléphone portable », se pensant « comme ça en toute liberté dans la possibilité d’écrire ce qu’ils veulent ». Car pour Dupond-Moretti, le jeune doit « rester chez lui » et les parents doivent « tenir leurs gosses ». Et si le jeune veut quand même « balancer des trucs sur Snapchat », alors attention, « on va péter les comptes ».

En substance, il menace d’identifier les personnes qui auraient publié des vidéos de violences pour les retrouver, quand bien même ces contenus seraient totalement licites. À l’image d’un surveillant courant avec un bâton après des enfants, dépassé par la situation, le ministre de la Justice se raccroche à la seule branche qui lui est accessible pour affirmer son autorité. Les récits de comparution immédiate ont d’ailleurs démontré par la suite la violence de la réponse judiciaire, volontairement ferme et expéditive, confirmant la détermination à prouver son ascendant sur la situation.

Le clou du spectacle a été prononcé par Emmanuel Macron lui-même le 4 juillet, devant plus de 200 maires, lorsqu’il a évoqué l’idée de « réguler ou couper » les réseaux sociaux puisque « quand ça devient un instrument de rassemblement ou pour essayer de tuer, c’est un vrai sujet ». Même avis chez Fabien Roussel « quand c’est chaud dans le pays », car celui-ci préfère « l’état d’urgence sur les réseaux sociaux que sur les populations ». Pour rappel, couper Internet à sa population est plutôt apprécié par les régimes autoritaires. En 2023, l’ONG Access Now a recensé que ce type de mesure avait été utilisé en Inde, Birmanie, Iran, Pakistan, Éthiopie, Russie, Jordanie, Brésil, Chine, Cuba, Irak, Guinée et Mauritanie. (...)

Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, s’est quant à lui taillé un rôle paternaliste et moralisateur, dépolitisant les évènements et essentialisant une jeunesse qui aurait l’outrecuidance d’utiliser des moyens de communication. Selon lui, « les jeunes » utilisent les réseaux sociaux et se « réfugient derrière leurs téléphone portable », se pensant « comme ça en toute liberté dans la possibilité d’écrire ce qu’ils veulent ». Car pour Dupond-Moretti, le jeune doit « rester chez lui » et les parents doivent « tenir leurs gosses ». Et si le jeune veut quand même « balancer des trucs sur Snapchat », alors attention, « on va péter les comptes ».

En substance, il menace d’identifier les personnes qui auraient publié des vidéos de violences pour les retrouver, quand bien même ces contenus seraient totalement licites. À l’image d’un surveillant courant avec un bâton après des enfants, dépassé par la situation, le ministre de la Justice se raccroche à la seule branche qui lui est accessible pour affirmer son autorité. Les récits de comparution immédiate ont d’ailleurs démontré par la suite la violence de la réponse judiciaire, volontairement ferme et expéditive, confirmant la détermination à prouver son ascendant sur la situation.

Le clou du spectacle a été prononcé par Emmanuel Macron lui-même le 4 juillet, devant plus de 200 maires, lorsqu’il a évoqué l’idée de « réguler ou couper » les réseaux sociaux puisque « quand ça devient un instrument de rassemblement ou pour essayer de tuer, c’est un vrai sujet ». Même avis chez Fabien Roussel « quand c’est chaud dans le pays », car celui-ci préfère « l’état d’urgence sur les réseaux sociaux que sur les populations ». Pour rappel, couper Internet à sa population est plutôt apprécié par les régimes autoritaires. En 2023, l’ONG Access Now a recensé que ce type de mesure avait été utilisé en Inde, Birmanie, Iran, Pakistan, Éthiopie, Russie, Jordanie, Brésil, Chine, Cuba, Irak, Guinée et Mauritanie. (...)

La censure au service de l’ordre (...)

Depuis sa création, La Quadrature l’observe et le documente : le réflexe du blocage, de la censure, de la surveillance traduit en creux une incapacité à comprendre les mécanismes technologiques de communication mais surtout révèle la volonté de limiter la liberté d’expression. En démocratie, seul un juge a l’autorité et la légitimité pour décider si un propos ou une image enfreint la loi. Seule l’autorité judiciaire peut décider de retirer un discours de la sphère publique par la censure.

Or, sur Internet, cette censure est déléguée à des entités privées dans un cadre extra-judiciaire, à rebours de cette protection historique. L’expression et l’information des utilisateur·rices se heurtent depuis des années aux choix de plateformes privées auto-désignées comme entités régulatrices du discours public. Ce mécanisme de contrôle des moyens d’expression tend en effet à faire disparaître les contenus militants, radicaux ou alternatifs et à invisibiliser l’expression de communautés minoritaires. Alors que ce modèle pose de sérieuses questions quant à la liberté d’expression dans l’espace démocratique, c’est pourtant bien sur celui-ci que le gouvernement compte pour faire tomber les vidéos de violences et de révoltes.

Ensuite, cette séquence démontre l’absence de volonté ou l’incompétence de l’État à se confronter aux problématiques complexes et anciennes des quartiers populaires et à apporter une réponse politique et sociale à un problème qui est uniquement… politique et social. (...)

Comme à chaque crise, la technologie devient alors le usual suspect préféré des dirigeants : elle est facile à blâmer mais aussi à maîtriser. Elle apparaît ainsi comme une solution magique à tout type de problème.

Rappelons-nous par exemple de l’application TousAntiCovid, promue comme l’incarnation du progrès ultime et salvateur face à la crise sanitaire alors qu’il s’agissait uniquement d’un outil de surveillance inefficace. La suite a montré que seules des mesures sanitaires étaient de toute évidence à même de résorber une épidémie. Plus récemment, cette manœuvre a été utilisée pour les Jeux Olympiques, moment exceptionnel par ses aspects logistiques, économiques et sociaux mais où la réponse politique apportée a été de légaliser un degré supplémentaire de surveillance grâce à la technologie, la vidéosurveillance algorithmique.

Ici, le gouvernement se sert de ces deux phénomènes pour arriver à ses fins. Désigner les réseaux sociaux comme le coupable idéal lui permet non seulement de détourner l’opinion publique des problématiques de racisme, de pauvreté ou de politique des quartiers mais également de profiter de cette séquence « d’exception » pour asseoir sa volonté de contrôle d’Internet et des réseaux sociaux. (...)

Une collaboration État-plateformes à son paroxysme

Comment le gouvernement peut-il alors faire pour réellement mettre les réseaux sociaux, des entreprises privées puissantes, sous sa coupe ? Juridiquement, il dispose de leviers pour demander lui-même le retrait de contenus aux plateformes. Certes cette censure administrative est en théorie aujourd’hui réservée à la pédopornographie et à l’apologie du terrorisme, mais cette dernière, notion vague et indéfinie juridiquement, a notamment permis d’exiger le blocage du site collaboratif et militant Indymedia ou de faire retirer une caricature de Macron grimé en Pinochet. (...)

Conscient des limites juridiques de son pouvoir, l’État peut en effet miser sur la coopération des plateformes. Comme nous l’avons évoqué, celles-ci ont le contrôle sur l’expression de leurs utilisateur·ices et sont en mesure de retirer des vidéos de révoltes et d’émeutes quand bien même ces dernières n’auraient absolument rien d’illégal, simplement en invoquant leurs larges pouvoirs issus des conditions générales d’utilisation.

D’un côté, les autorités peuvent compter sur le zèle de ces réseaux sociaux qui, après avoir longtemps été accusés de mauvais élèves et promoteurs de la haine en ligne, sont enclins à se racheter une image et apparaître comme de bons soldats républicains, n’hésitant pas à en faire plus que ce que demande la loi. Twitter par exemple, qui a pendant longtemps résisté et ignoré les demandes des autorités, a drastiquement changé sa discipline depuis l’arrivée d’Elon Musk. Selon le media Rest of World qui a analysé les données du réseau, Twitter ne refuse quasiment plus aucune injonction de blocage ou réquisition de données d’identification provenant des différents États dans le monde. (...)

si les réseaux sociaux refusent de se plier à ce jeu diplomatique, alors le gouvernement peut menacer de durcir leurs obligations légales. Aujourd’hui, les réseaux sociaux et hébergeurs bénéficient d’un principe européen d’irresponsabilité, créé dans les années 2000 et reposant en France sur l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Ils ne sont responsables de contenus que s’ils ont connaissance de leur caractère illicite et ne les ont pas retiré « promptement ». (...)

L’impasse de la censure

Déjà voté au Sénat, le projet de loi « Espace Numérique » devrait être discuté à la rentrée à l’Assemblée. Outre plusieurs dispositions problématiques sur lesquelles nous reviendrons très prochainement, ce texte a comme objet initial de faire entrer dans le droit français le Digital Services Act (ou DSA). Ce règlement européen adopté en 2022 est censé renouveler le cadre juridique des acteurs de l’expression en ligne.

Contrairement à ce qu’affirmait avec aplomb Thierry Breton, commissaire européen en charge notamment du numérique, ce texte ne permettra en aucun cas d’« effacer dans l’instant » les vidéos de révoltes ni d’interdire d’exploitation les plateformes qui n’exécuteraient pas ces injonctions. Non, ce texte donne principalement des obligations ex ante aux très grosses plateformes, c’est-à-dire leur imposent des efforts sur leur fonctionnement général (transparence des algorithmes, coopération dans la modération avec des tiers certifiés, audits…) pour prévenir les risques systémiques liés à leur taille et leur influence sur la démocratie. M. Breton est ainsi prêt à tout pour faire le SAV du règlement qu’il a fait adopter l’année dernière, quitte à dire des choses fausses, faisant ainsi réagir plus de soixante associations sur ces propos, puis à rétropédaler en catastrophe en voyant le tollé que cette sortie a déclenché.

Cependant, si ce texte ne permet pas la censure immédiate rêvée par le commissaire européen français, il poursuit bien la dynamique existante de confier les clés de la liberté d’expression aux plateformes privées, quitte à les encadrer mollement. (...)

Des contenus terroristes aux vidéos protégées par le droit d’auteur en passant par les opinions radicales, c’est tout un arsenal juridique européen qui existe aujourd’hui pour fonder la censure sur internet. En pratique, elle permet surtout de donner aux États qui façonnent ces législations des outils de contrôle de l’expression en ligne. On le voit en ce moment avec les vidéos d’émeutes, ces règles sont mobilisées pour contenir et maîtriser les contestations politiques ou problématiques. Le contrôle des moyens d’expression finit toujours aux mains de projets sécuritaires et anti-démocratiques. Face à ce triste constat, de la même manière que l’on se protège en manifestation ou dans nos échanges militants, il est nécessaire de repenser les pratiques numériques, afin de se protéger soi-même et les autres face au risque de détournement de nos publications à des fins répressives (suppression d’images, de vidéos ou de messages, flouter les visages…).

Enfin, cette obsession de la censure empêche surtout de se confronter aux véritables enjeux de liberté d’expression, qui se logent dans les modèles économiques et techniques de ces plateformes. (...)

Nous espérons que les débats autour du projet de loi Espace Numérique seront enfin l’occasion de discuter de modèles alternatifs et de penser la décentralisation comme véritable solution de la régulation de l’expression en ligne. Cet idéal n’est pas utopique mais existe bel et bien et grandit de jour en jour dans un écosystème fondé sur l’interopérabilité d’acteurs décentralisés, refusant les logiques de concentration des pouvoirs de censure et souhaitant remettre les utilisateurs au cœur des moyens de communications qu’ils utilisent.