
(...) Depuis la mort de Nahel, tué par la police lors d’un contrôle routier le 27 juin à Nanterre, des révoltes ont éclaté un peu partout en France. On en parle avec le sociologue Julien Talpin. (...)
Dans toute la France, des révoltes urbaines éclatent. Pourquoi Nahel est-il mort ? Où en sont les rapports entre l’État, la police et les quartiers populaires ? Qu’est-ce qui a changé depuis la révolte des banlieues de 2005 ? Entretien avec Julien Talpin, sociologue (CNRS/université de Lille) et auteur de plusieurs ouvrages sur les quartiers. (...)
« L’existence d’une vidéo dévoilant les circonstances du drame a brouillé les réactions des médias dans les premiers jours : les images prouvaient qu’en plus de tuer, la police mentait, ce qui a désarçonné le récit médiatique dominant qui reprend habituellement la version policière. Mais cela n’a évidemment pas duré et on est vite revenu à un discours répressif. Ce qui m’a frappé, c’est la convergence entre le récit gouvernemental et le récit médiatique sur la pathologisation, les jeux vidéos, la responsabilisation des parents… » (...)
« L’existence d’une vidéo dévoilant les circonstances du drame a brouillé les réactions des médias dans les premiers jours : les images prouvaient qu’en plus de tuer, la police mentait, ce qui a désarçonné le récit médiatique dominant qui reprend habituellement la version policière. Mais cela n’a évidemment pas duré et on est vite revenu à un discours répressif. Ce qui m’a frappé, c’est la convergence entre le récit gouvernemental et le récit médiatique sur la pathologisation, les jeux vidéos, la responsabilisation des parents… » (...)
Au-delà des classiques appels à l’apaisement d’une partie de la classe politique, on se retrouve encore une fois face à une rhétorique selon laquelle les révoltés se tromperaient de cible…
« La question des cibles est importante. Même si on n’a pas encore les chiffres, il faut souligner et rappeler que les premières cibles des émeutes ont été des institutions publiques, comme les commissariats et les mairies. Il y a une rationalité là-dedans. À Roubaix par exemple, un centre culturel assez élitiste, qui ne touche pas les gens des quartiers populaires, a été en partie détruit ; juste en face, la piscine, dont les salariés et usagers sont des gens du quartier, n’a pas été touchée. »
Pourquoi les révoltes se concentrent-elles dans les quartiers et non dans les centres-villes et les lieux de pouvoir ?
« À mon sens, c’est d’abord une bonne tactique pour se prémunir de la répression policière : quand les révoltes ont lieu sur ton territoire, tu maîtrises la topographie, les fuites possibles, les planques, etc. Dans les centres, on est sur le terrain de l’adversaire, que la police maîtrise, et l’on est bien plus la proie de la répression et de la violence. (...)
Pour celles qui ont eu lieu en centre-ville, comme à Marseille ou à Lyon, c’est sans doute parce qu’on y trouve encore des quartiers populaires. Peut-être aussi qu’il faut signaler des tentatives de convergences avec les milieux autonomes, libertaires et d’extrême gauche, qui font évoluer la géographie de la révolte. Ce qui n’était pas le cas en 2005. »
Justement, qu’est-ce qui a changé depuis les révoltes de 2005 ?
« D’un côté, il y a un vrai changement niveau armement de la police et techniques d’intervention, avec un rapport aux quartiers beaucoup plus violent du fait de la forte militarisation de la police. Mais aussi plus distant, vu le plus faible ancrage des policiers dans les quartiers.
De l’autre côté, dans les quartiers, la marginalisation sociale reste la norme : les conditions systémiques de la précarité, du chômage de masse, des discriminations raciales, etc., rien n’a bougé. Les conditions objectives qui peuvent conduire à la révolte sont toujours là, voire se sont accentuées ces dernières années. La précarité s’est accrue, notamment à cause du confinement qui a été très dur pour les habitants des quartiers, de l’inflation et des hausses de charges ces derniers mois. » (...)
« Depuis 2005, les corps intermédiaires dans les quartiers ont été fragilisés. À l’époque, on avait vite vu émerger des acteurs associatifs, qui à la fois appelaient au calme et essayaient de proposer un débouché politique aux révoltes. Aujourd’hui, on les entend peu, notamment parce qu’un certain nombre d’associations n’existent plus, que les montants financiers dédiés à la vie associative sont en forte diminution.(...)
Les associations sont perçues comme “séparatistes” ou ennemies de la République. Depuis la loi “Séparatisme” de 2021 et le contrat d’engagement républicain (CER)3, c’est l’ensemble de la vie associative qui se voit criminalisée. La cause se trouve en partie dans des erreurs d’analyse et une mauvaise compréhension de ce qui se passe dans les quartiers. Il règne chez les élites une lecture postcoloniale liée à des représentations caricaturales de l’islam… Les politiques publiques sont très peu nourries par les sciences sociales, au profit de polémistes médiatiques comme Mohamed Sifaoui ou Caroline Fourest.
Ce sont ces décisions erratiques et cet aveuglement idéologique qui pètent à la gueule des décideurs aujourd’hui. » (...)
Aujourd’hui [le 2 juillet], même s’il y a un déclin relatif de la mobilisation, il suffit d’une étincelle pour que ça reparte. Le gouvernement ne semble pas prêt à lâcher grand-chose et s’apprête à poursuivre la répression, alors qu’il y aurait tellement de choses à faire pour améliorer la situation (désarmement, fin des contrôles d’identité, indépendance de l’IGPN, etc.). Quoi qu’il en soit, ces révoltes posent un rapport de force qui va laisser des traces. »