
La première journée de mobilisation contre le projet du gouvernement devrait donner lieu le 19 janvier à des grèves et à des manifestations massives. L’opposition au recul de l’âge de départ et la colère contre l’exécutif sont palpables. Mais le mouvement tiendra-t-il dans la durée ?
Ils savourent leur moment, leur union. Quelques heures avant les manifestations du 19 janvier qui lanceront le mouvement de contestation de la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron, les syndicats savent qu’ils sont en position de force, au moins pour une journée. Pour la première fois depuis la réforme des retraites de 2010 (qui avait fait reculer l’âge légal de départ de 60 à 62 ans), ils parlent tous d’une même voix, appelant au retrait du projet présenté le 10 janvier par Élisabeth Borne.
Les cortèges devraient être fournis partout en France, et les grèves très visibles, au moins dans les écoles et les transports. (...)
« Ce sera un jeudi de galère, de forte perturbation dans les transports », a concédé mardi matin le ministre des transports Clément Beaune sur France 2. On est loin de la confiance affichée la semaine précédente par le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, lorsqu’il déclarait : « On ne se projette pas là dans l’idée d’une mobilisation massive. » (...)
les syndicats CGT de la branche pétrole ont annoncé la couleur dès la semaine dernière : ils comptent partir en grève plusieurs jours de suite. Un arrêt de travail de 24 heures le 19 janvier, un de 48 heures le 26 janvier, puis un de 72 heures à partir du 6 février.
Ce modus operandi pourrait faire tache d’huile. Lundi, devant plusieurs journalistes, le secrétaire de la CGT Mines-Énergies, Sébastien Menesplier, s’est dit « intéressé » : « Faire grève le 19, c’est bien, mais si on est capables de désorganiser le travail dès le 20, c’est là où tout commencera. » (...)
Le secteur de l’énergie est concerné au premier chef par la réforme, qui devrait supprimer le régime spécial des IEG, les industries électriques et gazières (lire notre article). Le « plan de bataille » voté par la quasi-totalité des syndicats est donc ambitieux. Outre les baisses de production, les militants et militantes prévoient de remettre « gratuitement » de l’électricité aux familles les plus précaires.
Et Sébastien Menesplier ne se prive pas de lancer des propositions pour le moins clivantes – et illégales : « Ceux qui veulent la réforme aujourd’hui, on va aller les voir dans leurs permanences, on va aller discuter avec eux, annonce-t-il. Et puis, si d’aventure ils ne comprennent pas le monde du travail, on les ciblera dans les coupures qu’on saura organiser. Le Medef, les partis politiques, les élus, tous ceux qui soutiennent [la réforme]… »
La RATP est aussi directement visée par celle-ci. « Si on ne va pas à la bataille, on a beaucoup à perdre, à commencer par notre régime spécial, rappelle Bertrand Hammache, à la tête de la CGT de l’entreprise. Pour l’instant, notre retraite est calculée sur les six derniers mois. Si la réforme passe, ce sera sur nos 25 meilleures années. Or, entre notre début et notre fin de carrière, notre salaire est en général multiplié par deux. »
Dans tout le service public, la colère est grande contre le président et son gouvernement (...)
Des doutes s’expriment déjà
Mais mezza voce, certains avouent leurs doutes sur la capacité des opposants à la réforme de tenir sur la longueur. Au rassemblement de Montpellier, Laurent, agent de la fonction publique territoriale et drapeau de l’Unsa en main, rappelle que « les gens sont résignés et financièrement acculés ». Son espoir : que la jeunesse prenne part, fortement, à la mobilisation, « parce que nous, les salariés, on va clairement être limités en termes de jour de grève ».
« Les suites de la journée de jeudi sont un peu incertaines, confirme Benoît Teste, de la FSU. Les collègues nous disent qu’ils vont faire grève pour ce premier jour, pour marquer leur opposition, mais beaucoup ont l’impression que le gouvernement ne lâchera pas, et ça n’incite pas à s’engager. » (...)
Ces craintes vont aussi se nicher dans des endroits inattendus. Ainsi, Bertrand Hammache, de la CGT-RATP, émet des inquiétudes : « On n’a pas encore convaincu assez de monde pour organiser le mouvement puissant qu’on attend, déclarait-il à Mediapart récemment. Les convaincus sont prêts à en découdre, mais l’engagement sans faille des salariés n’est pas encore palpable. » (...)
Chacun a en tête les enjeux, et les risques d’échecs. Depuis 2003, aucune mobilisation, même massive, n’a fait vaciller un gouvernement sur les retraites. Le projet de 2019-2020 a été stoppé par le Covid, sans que les syndicats n’emportent nettement la victoire. « Si le gouvernement reste arcbouté sur son projet, ça laissera des traces, parce qu’il n’a aucun appui et pas de base sociale, considère un haut gradé syndical. Mais nous aussi nous jouons gros. Si même l’unité n’est pas suffisante pour gagner, comment fera-t-on ? »