
Cela fait peu de temps, évidemment, mais suffisamment pour que le contexte ait changé : aujourd’hui, après l’abandon des charges pénales et les justifications des procureurs quant à sa "crédibilité", je n’ai pas réussi à ne pas faire ma petite enquêtrice de salon, regarder cette femme comme on jauge les gencives d’un cheval sur lequel on a parié et qu’il est encore temps, pour sauver la face, de retirer ses billes, m’arrêter sur des détails, des signes, des hésitations qui en disent long, des intonations, des larmes de crocodile...
Ou plus précisément : je n’ai pas réussi à m’en empêcher pendant les toutes premières minutes de cette vidéo. Très rapidement, la partie inspectrice des soupçons finis de ma cervelle s’est tue, et j’ai simplement assisté à un entretien avec une personne forcée d’être là où elle n’a absolument pas envie d’être. Ce qui en fait un entretien extrêmement douloureux, si je puis me permettre cette légère incartade vers les sanglotants territoires de la dictature de l’émotion.
(...) Les parcours du combattant, les différentes pirouettes, les courbettes, les marche ou crève, les épreuves, les tests, les dossiers à remplir quand on ne sait pas écrire ou lire la langue dans laquelle ils sont formulés. Voilà ce que les héritiers des pays riches demandent à ceux qui désirent les mériter : sauter à cloche-pied dans des cerceaux de feu, tout en faisant les gros yeux si certains songent à mettre des vêtements ignifugés avant de débuter le parcours.
Car cela entame leur crédibilité. (...)
Au lendemain de la diffusion de cette vidéo, ses spectateurs ont été nombreux (et leurs commentaires sont toujours visibles, par exemple, sous les extraits Youtube de cette interview) à dire que Nafissatou en faisait trop. Quelle était trop éplorée, trop angoissée, trop détruite, trop bancale. Que la manière de tenir son mouchoir n’était pas la bonne, que les expressions de son visage trahissaient son imposture, etc.
En réalité, les commentaires ont été exactement identiques à ceux glosant sur le passage de Tristane Banon chez Ardisson – sauf qu’elle, elle n’en faisait pas assez. Elle était trop détachée, trop rigolarde, trop claire, trop insouciante, trop précise...
Le problème, c’est qu’il n’y a pas de bonne façon de parler de viol, et toutes les victimes de violences sexuelles sont a priori louches, tant l’autre problème, le problème surplombant peut-être, c’est qu’il n’y a pas de bonne façon de parler de sexe(...) Wikio