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Ressusciter le matrimoine littéraire
#matrimoinelitteraire #feminisme #autrice #femmedelettre
Article mis en ligne le 29 septembre 2022

Durant des siècles, tout a été fait pour couper la plume aux autrices. Leur parole a été entravée de multiples manières. Il est temps d’entendre enfin Louise Labé, Marguerite Porete, Olympe Audouard…

Nous ne nous tairons plus » : c’est ainsi que la réalisatrice Alice Diop concluait son discours de la Mostra de Venise.

Ce « nous » renvoie aux femmes. Ici plus particulièrement aux femmes noires qui, comme l’a montré Audre Lorde dans Sister Outsider (qu’Alice Diop citait juste avant), ont encore plus été les victimes des injonctions au silence que les autres femmes.

Les mots, puissants, de la réalisatrice reposent sur ce postulat tout aussi implicite qu’évident : même quand elles ne se taisaient pas, les femmes ont vu leur parole étouffée par une société où les institutions masculines étaient les maîtresses de l’espace de la parole comme de sa consécration.

Les racines de cet étouffement, puissant et séculaire, de la parole des femmes se terrent dans l’Antiquité. Deux mythes sont emblématiques du traitement réservé à leur parole : celui de Cassandre et celui de Philomèle. Que montrent-ils si ce n’est que la voix des femmes n’est, par essence, pas digne d’être crue au rebours de celle des hommes dont les prédictions, elles, sont systématiquement prises au sérieux ?

Cassandre, princesse troyenne, prédisait l’avenir, en vain. Personne n’écoutait ses oracles comme le résument magnifiquement ces vers de l’une des dames des Roches, Madeleine Neveu, poétesse du XVIe siècle :

« Pour n’avoir de Cassandre

Cru les divins secrets,

Troie fut mise en cendres

Par l’outrage des Grecs »

Le traitement réservé à la parole de Philomèle synthétise, en puissance, des siècles et des siècles de silenciation orchestrée par le patriarcat. Ce mythe est fondateur : son beau-frère l’a violée puis lui a coupé la langue afin de l’empêcher de le dénoncer. Dès les origines, symboliquement, parler pour les femmes, c’est risquer de voir leur parole mutilée ou tout du moins empêchée.

L’histoire du matrimoine littéraire est emblématique de cet empêchement : tout a été fait pour couper la plume aux autrices (...)

La réforme grégorienne se chargea d’interdire tant d’érudition aux femmes.

Empêchée par le bûcher, parfois : qu’une Marguerite Porete, béguine vagabonde, prêche à tout va et se mêle de théologie dans ses écrits était bien trop blasphématoire. L’Inquisition se chargea de la réduire en cendres avec son livre, place de Grève à Paris.

Entravée par l’injure et la calomnie afin de disqualifier leurs personnes comme leurs écrits : combien d’autrices ont vu leurs mœurs attaquées, juste parce qu’elles avaient commis l’affront de s’ériger en écrivaines ? Louise Labé, Marie de Gournay, Madame de Villedieu, Fanny de Beauharnais, Claire Mazarelli, Louise Colet, Olympe Audouard… La liste est inépuisable.

Empêchée par l’injonction à la pudeur : une muse, ça se doit d’inspirer, pas de créer !

Entravée par les institutions : l’Académie française qui masculinisa la langue au forceps ; les prix littéraires qui ne consacrèrent – et ne consacrent encore – que peu ou prou d’écrivaines ; le patrimoine littéraire scolaire qui fait fi du matrimoine…
Effet Matilda, effet Olympe (...)

En sciences, on le nomme l’« effet Matilda » : il désigne la spoliation et l’invisibilisation des découvertes dues aux femmes. En littérature, on peut le nommer l’« effet Olympe », en référence à l’intrépide Olympe Audouard (voir encadré) qui, au XIXe siècle, écrivit notamment l’audacieux pamphlet Guerre aux hommes et qui, étrangement, disparut totalement des radars dudit patrimoine littéraire : de son vivant, l’article que lui avait consacré le Larousse des célébrités l’avait envoyée, de façon calomnieuse, à l’asile. (...)