
Depuis quelques années, Google effectue des acquisitions très ciblées aux antipodes de ce qui constitue son ADN initial, à savoir l’indexation des contenus du Web et sa mise à disposition à travers diverses plateformes de diffusion comme YouTube, Android et Google +. Ces incursions d’un autre genre au croisement de la biotechnologie, de l’intelligence artificielle et de la robotique sont motivées notamment par la philosophie transhumaniste dont les deux fondateurs de Google sont proches.
Pourtant, rien ou presque dans la communication corporate de l’entreprise ne s’attarde vraiment sur ces chantiers loin d’être superfétatoires. A ne rien laisser filtrer sur ses intentions exactes, Google risque-t-il un jour d’affronter un renversement d’image encore plus problématique que les controverses actuelles qui lui collent aux basques sur la protection des données persos et l’optimisation fiscale à tout crin ? Réflexions sur des signaux faibles dont il faudrait tenir compte. (...)
Une entreprise qui fascine indubitablement par son insondable capacité à multiplier les innovations numériques tout en élargissant sa présence dans de multiples secteurs économiques de manière plutôt disruptive. Mois après mois, le géant de Mountain View devient le poumon incontournable de divers écosystèmes. Il y a les marques vedettes comme YouTube, Chrome, Android mais aussi une cohorte de services toujours plus pointus comme par exemple Wallet, un système de paiement électronique sur mobile adopté actuellement par 10 millions d’utilisateurs (1). En janvier 2014, Google a ainsi posé le pied dans un nouvel univers en rachetant le fabricant de thermostats connectés Nest Labs pour 3,2 milliards de dollars (2). Spécialisée dans les produits intelligents pour la maison, cette start-up permet à Google d’entrer puissamment dans l’univers prometteur de la domotique. - (...)
Chez Google, toutes les énergies sont officiellement mobilisées vers la praticité, l’efficacité et le plaisir des expériences avec les services du géant du Web. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’actuelle campagne de publicité pour Chromecast diffusée sur les chaînes de télévision française. Force est de reconnaître que les outils mis à disposition sont incroyablement géniaux et d’une puissance rarement égalée. (...)
La deuxième corde activée est celles des partenariats technologiques avec des pépinières et des initiatives à but non lucratif pour apaiser les tensions et montrer au final que l’entreprise sait aussi se montrer citoyenne dans ses contrées d’adoption. Un emblématique exemple de cette approche est le Google Art Project avec des musées un peu partout dans le monde. Ces derniers disposent gracieusement des technologies de Google pour numériser des œuvres issues de leurs collections et permettre ensuite des visites virtuelles en haute définition sur Internet. Une recette que Google a déclinée à nouveau en 2013 pour la presse française avec laquelle elle était en conflit financier. Un fonds doté de 60 millions d’euros sur trois ans a ainsi vu le jour pour « trouver de nouveaux modèles d’affaire par l’innovation » (3) pour les sites d’info en ligne. (...)
Autre atout d’image largement exhibé par Google : les conditions de travail « fun » en vigueur dans les bureaux et les Googleplexs. On ne compte effectivement plus les reportages sur l’ambiance « cool » des bâtiments aux couleurs vives où chaque employé peut se relaxer quand il veut en allant disputer une partie de Playstation, méditer au calme devant un aquarium reposant, se faire masser, jouer de la guitare électrique ou se sustenter dans les cantines et kitchenettes regorgeant de victuailles pour tous les goûts. Un pari payant puisque Google truste les distinctions RH et reste plébiscité par les moins de 40 ans. (...)
Pourtant, en parallèle de cette profusion d’innovations technologiques et de partenariats divers, Google pousse également ses pions dans des domaines moins connexes au pur code informatique. Depuis deux ans, l’entreprise a en effet accru significativement son implication dans trois marchés bien spécifiques : l’intelligence artificielle, la robotique et la biotechnologie avec pour cette dernière un objectif de repousser la mort et les maladies !
Assez étonnamment, les médias ne s’en sont globalement que peu fait l’écho hormis quelques entrefilets çà et là. (...)
Pourtant, dans le domaine de l’intelligence artificielle, Google a fait un sacré bond en à peine un an en mettant successivement la main sur la start-up canadienne DNNresearch qui travaille dans les neurosciences et la start-up britannique DeepMind acquise pour 500 millions de dollars (5). En vue d’améliorer la puissance de son moteur de recherche, Google s’intéresse effectivement depuis un certain temps à la compréhension des schémas neuronaux humains et à leur réplication informatique dans une machine capable d’apprendre par elle-même.
Or, l’histoire ne s’arrête pas à l’amélioration scientifique du célèbre algorithme Google. Dans le même temps, Mountain View a mis le paquet pour racheter neuf sociétés de robotique (6) dont Boston Dynamics, connu pour les robots mis au point pour l’armée américaine, et Atlas pour son humanoïde bipède utilisable dans les situations de catastrophes naturelles. Enfin, troisième pan de l’agenda : l’accélération dans les biotechnologies et notamment le séquençage de l’ADN humain. (...)
Loin d’être un scénario farfelu d’amateurs de science-fiction, les avancées de Google se sont également traduites par l’arrivée d’experts aux profils suffisamment explicites pour comprendre que Google devient autre chose qu’un simple géant numérique. (...)
La figure de Ray Kurzweil est particulièrement symbolique de ce virage amorcé par Google. L’homme est en effet considéré comme le gourou du transhumanisme. Ce terme s’est répandu dans les années 90 à mesure que les nanotechnologies, la biologie génétique, l’informatique et les sciences cognitives ont commencé à converger sur des recherches communes et le concept d’« homme augmenté ». Chirurgien et président de DNA Vision, Laurent Alexandre résume cette philosophie (9) : « Les transhumanistes soutiennent une vision radicale des droits de l’humain (…) Selon eux, l’humanité ne devrait avoir aucun scrupule à utiliser toutes les possibilités de transformation offertes par la science (…). L’homme du futur serait ainsi comme un site Web, à tout jamais une « version béta », c’est-à-dire un organisme-prototype voué à se perfectionner en continu. Cette vision pourrait sembler naïve. En réalité, un lobby transhumaniste est déjà à l’œuvre des NBIC pour changer l’humanité ».
Ce courant de pensée touche de surcroît particulièrement les deux fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin. En 2013, le premier a expliqué sur sa page Google + qu’il souffrait d’une paralysie partielle des cordes vocales. Quant au second, il est connu pour être génétiquement prédisposé à la maladie de Parkinson. Or, Google est précisément un des gros soutiens financiers de la Singularity University de Ray Kurzweil qui promeut cette vision futuriste d’un homme aux capacités décuplées par la technologie. (...)
Pour l’instant, peu de personnes ont réellement conscience de ce visage un peu science-fictionnesque de Google. Pourtant, il n’a rien de délirant. En janvier 2014, Google a d’ailleurs annoncé une avancée très concrète sous la forme d’une lentille oculaire intelligente. Celle-ci permettra de surveiller certains aspects du corps humain comme le niveau de glucose pour les diabétiques et d’envoyer instantanément l’information à un ordinateur. L’hybridation entre l’ordinateur et l’humain n’est donc pas une lubie mais véritablement un nouveau terrain de développement technologique dont Google a finement perçu les perspectives et les enjeux.
Là où la problématique pourrait dans un proche avenir se corser, c’est que Google n’est pas pour autant d’une grande prolixité sur le sujet. Sur ses sites Web et ses blogs, il est quasiment impossible de trouver trace de contenus évoquant ouvertement ces projets transhumanistes. Excepté quelques concessions ponctuelles comme le récent reportage inédit du magazine américain Fast Company dans les locaux du très secret Google X Lab, le géant de Mountain View ne se montre guère bavard sur ce puzzle qu’il assemble à travers ses récents investissements financiers en intelligence artificielle, robotique et biotechnologie.
C’est là un piège potentiellement très crisique pour la réputation de Google. Dans une société contemporaine dominée par la défiance et un certain sentiment conspirationniste plutôt florissant, continuer à œuvrer à l’abri des regards revient à s’exposer au soupçon et in fine au rejet radical. (...)