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Reprise des expulsions : une famille dehors sans hébergement "Ce n’est pas normal de vivre dans 12 mètres carrés mais là, l’État va payer plus cher une chambre d’hôtel pour la loger de la même manière. On est chez les fous, là ! "
Article mis en ligne le 4 juillet 2021

Alors que la trêve hivernale a pris fin il y a un mois, Zara, son mari et leur petite fille de 4 ans ont été expulsés de leur logement parisien de 12 mètres carrés pour suroccupation. Logée à l’hôtel à ses frais, la famille n’a aucune solution d’hébergement ou de relogement. Récit.

(...) Il est aux alentours de 10 heures quand trois policiers, un huissier et un représentant d’Adoma l’ont sommée de remettre ses clés. Zara dit être tombée de haut. Elle ne s’attendait pas à ce que l’expulsion se produise ainsi. « J’imaginais que c’était autre chose, je n’étais même pas habillée, j’étais en train de nettoyer. Heureusement, la petite était à l’école et la grande en formation loin de Paris pour encore quelques jours. »

Elle poursuit, fouillant dans son sac jaune rempli de documents pour appuyer ses dires. « Je me suis effondrée, je me suis écroulée par terre. J’ai dit aux trois policiers que ce n’était pas possible car ma fille ne savait rien de la situation. On a négocié et ils nous ont laissé la possibilité de revenir en début d’après-midi pour prendre nos bagages. »

De nombreuses épreuves

Zara a dû empaqueter les affaires nécessaires pour la famille et celles de valeur. Le reste sera entreposé dans un box que son mari a loué. Lors de l’expulsion, la famille est orientée vers un hôtel à Méry-sur-Oise (Val-d’Oise) pour un hébergement d’urgence de quinze jours.

Vers 19 heures, la famille se met en route. Elle commande un Uber à ses frais pour s’y rendre. Le trajet de plus d’une heure est long. Sa plus jeune fille lui demande s’ils partent en vacances « tellement on a roulé ». « Puis, quand on est arrivés, elle a tout compris et m’a dit qu’elle ne voulait pas dormir ici car ce n’était pas chez elle. » La mère poursuit. « Tout ce que je veux, c’est que mes enfants soient stabilisés, nous on peut toujours se débrouiller. »

À ce moment, Zara, qui répond volontiers à toutes les questions, craque. Cette expulsion couronne un destin qu’on devine difficile. « Je suis forte, si vous saviez par quoi je suis passée… », dit-elle, sans vouloir davantage s’étendre sur les épreuves traversées.

Sitôt arrivés à l’hôtel, Zara, son mari et sa fille se voient répondre que leur réservation a été annulée, ils ont fait ce trajet pour rien. Zara rappelle un Uber. Ce qui lui coûtera en tout 130 euros. Leur chauffeur fait le tour des hôtels de Paris pour les aider à trouver un point de chute, pas trop loin de l’école de la petite. « On est allés à Marcadet, Porte de Clignancourt, au Père-Lachaise, à Ménilmontant… Tout était complet. Le chauffeur nous a dit qu’il ne nous laisserait pas tomber jusqu’à ce qu’on trouve où aller, il nous a même proposé de venir chez lui. »

Finalement, la famille se replie sur un hôtel Formule 1 et réserve trois nuits, au cas où. Elle y est encore une semaine plus tard. La chambre coûte 63 euros par soir. Zara a dû ajouter une chambre à 52 euros la nuit parce que sa grande fille est de retour après un stage dans le sud de la France.

Pas de proposition d’hébergement

Le lendemain de son expulsion, les services de la préfecture appellent Zara pour lui proposer une chambre dans les Yvelines. Là encore, c’est beaucoup trop loin pour elle. Elle imagine encore devoir payer des trajets et se lever à l’aube pour déposer sa fille à l’école.

Zara prend le risque de la refuser car si elle accepte, elle ne sait pas comment elle fera pour déposer sa fille, puis pour aller travailler en fin d’après-midi. En effet, elle cuisine dans un restaurant à partir de 17 heures et finit à 23 heures depuis la fin des restrictions sanitaires. Compliqué d’accumuler autant d’heures de transports dans la même journée.

Une semaine plus tard, la famille n’a toujours pas eu de proposition d’hébergement et ne pourra rester indéfiniment à l’hôtel. Samuel Mouchard, responsable de l’Espace solidarité habitat (ESH) de la Fondation Abbé-Pierre, qui soutient la famille depuis son expulsion, ne comprend pas cette situation. (...)

une instruction du 28 avril signée par la ministre du logement, Emmanuelle Wargon, et par celle chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, et transmise aux préfets de département, invitait à ne pas expulser les personnes sans proposition de logement ou d’hébergement. Les ministres précisent qu’« en amont, tous les efforts seront réalisés pour anticiper le relogement des ménages concernés par une procédure d’expulsion. Enfin, les ménages les plus vulnérables, du point de vue sanitaire ou familial, seront maintenus dans le logement ». (...)

Début 2010, Zara épouse un homme de nationalité sénégalaise qui possède un titre de séjour espagnol depuis une quinzaine d’années. Celui-ci a entamé des démarches pour obtenir la nationalité en Espagne qui devraient aboutir ce jour. Il la rejoint épisodiquement en France car il travaille comme saisonnier dans le secteur touristique. Le couple ne peut vivre ensemble plus de trois mois consécutifs pour le moment, au risque pour l’époux de perdre son titre de séjour espagnol. Cette séparation contrainte complique le dossier. Zara ne peut pour ces raisons associer son mari à sa demande de logement social puisqu’il n’est pas en règle. (...)

Avec son salaire et les prestations sociales, elle touche environ 1 500 euros par mois, ce qui est insuffisant pour se loger dans le privé à Paris, eu égard à la surface nécessaire pour loger la mère, ses filles et occasionnellement son époux.

Zara essaie de garder le moral. (...)

Depuis un mois, et la fin de la trêve hivernale prolongée, la Fondation Abbé-Pierre a géré 11 dossiers d’expulsion, dont celle de Zara, un chiffre élevé à son échelle car tous les dossiers, tant s’en faut, ne sont pas suivis par la Fondation. Ce qui lui fait dire que les expulsions repartent fort.

Contacté par Mediapart sur ce dossier, Adoma considère que les différentes mises en demeure reçues par Zara, en 2015, 2016 et 2017, pour suroccupation du logement, auraient dû la conduire à chercher un autre lieu de résidence. (...)

Adoma précise qu’il y a un impayé de 829 euros pour les mois d’avril et mai. Zara explique, preuve à l’appui, que cette dette est la conséquence d’une suspension injustifiée de son allocation logement, l’APL. Depuis six mois, la Caisse d’allocations familiales est victime d’un large dysfonctionnement.

Quoi qu’il en soit, Adoma précise que tout a été fait dans les règles. (...)

Samuel Mouchard ne comprend pas pourquoi Adoma n’a pas apporté plus d’accompagnement à la famille pour la reloger, surtout quand on a affaire à un bailleur social. « Quelle est l’urgence de mettre cette dame à la rue avec deux enfants ? Elle ne porte préjudice à personne. Au mieux, elle va être logée dans un hôtel de type Formule 1 dans des conditions strictement similaires à la situation qui a mené à son expulsion. Ce n’est pas normal de vivre dans 12 mètres carrés mais là, l’État va payer plus cher une chambre d’hôtel pour la loger de la même manière. On est chez les fous, là ! » (...)