
Hier, la Hadopi a publié le premier volet de son étude sur la faisabilité et la pertinence d’un système de rémunération proportionnelle du partage. Cette note dresse un inventaire et une analyse des usages en matière d’accès aux oeuvres sur Internet.
Après l’annonce faite par la Hadopi de son intention de se saisir de cette question, la Quadrature du Net avait dénoncé les nombreux biais implicites que son approche comportait :
L’étude envisagée par la Hadopi résulte visiblement d’un effort de dernière minute pour tenter d’exister sur un sujet pour lequel elle est le moins légitime des intervenants possibles. Elle repose sur un ensemble de présupposés qui vont orienter par avance ses résultats au lieu de fournir des pistes ouvertes de légalisation du partage non-marchand [...] En prétendant cibler « les entités tirant, par leurs activités, un gain marchand des échanges non marchands des œuvres », elle sous-entend qu’il n’existe pas réellement de sphère du partage non-marchand, alors que cette dimension est essentielle.
A la lecture de cette note, force est de constater que la Hadopi est effectivement arrivée exactement là où elle le voulait : une démolition en règle de la notion même d’échanges non-marchands. (...)
Les tenants de la légalisation du partage, comme la Quadrature du Net, SavoirsCom1 ou le Parti Pirate, soutiennent l’idée qu’il faut que la répression cesse de cibler les échanges non-marchands entre individus, en affirmant que ceux-ci correspondent à l’exercice de droits positifs vis-à-vis de la culture. Pour contrer cette approche qui gagne du terrain, la Hadopi a choisi de démontrer méthodiquement qu’il ne pouvait pas exister d’échanges "non-marchands" d’oeuvres en ligne et que ces pratiques ne correspondaient à vrai dire pas même à des "échanges". (...)
Philippe Aigrain a consacré sur son blog un billet à la définition du périmètre des échanges non marchands :
Constitue un partage entre individus toute transmission d’un fichier (par échange de supports, mise à disposition sur un blog ou sur un réseau pair à pair, envoi par email, etc.) d’un lieu de stockage « appartenant à l’individu » à un lieu de stockage « appartenant à un autre individu ». « Appartenant à l’individu » est évident quand il s’agit d’un ordinateur personnel, d’un disque personnel ou d’un smartphone. Mais cette notion recouvre aussi un espace de stockage sur un serveur, lorsque le contrôle de cet espace appartient à l’usager et à lui seul (espace d’un abonné d’un fournisseur d’accès sur les serveurs de ce FAI, hébergement cloud si le fournisseur n’a pas de contrôle sur le contenu de cet hébergement).
Un partage est non-marchand s’il ne donne lieu à un aucun revenu, direct ou indirect (par exemple revenu publicitaire) pour aucune des deux parties. La notion de revenu est à entendre au sens strict comme perception monétaire ou troc contre une marchandise. Le fait d’accéder gratuitement à un fichier représentant une œuvre qui fait par ailleurs l’objet d’un commerce ne constitue en aucun cas un revenu. (...)
En privilégiant "l’accès" plutôt que le partage et en mettant en avant des intermédiaires marchands, la Hadopi cherche en réalité à réintroduire de la verticalité là où les pratiques culturelles peuvent s’exercer de manière horizontale entre pairs. (...)
Il est essentiel de défendre l’existence d’une sphère non-marchande autonome sur Internet. C’est une des conditions du développement de la culture numérique et de la culture tout court, eu égard à l’importance qu’Internet a pris dans nos vies. A ce titre, la manoeuvre d’Hadopi pour dissoudre la sphère non-marchande dans le secteur marchand est extrêmement pernicieuse. Il ne s’agit pas seulement pour elle d’une ultime tentative d’Open Washing, alors que ses jours sont sans doute comptés. Le but est de déplacer le débat sur un terrain où les droits du public ne pourront plus être consacrés pleinement. (...)