
En attendant les lentes avancées politiques en faveur de la réparabilité des équipements électroménagers, des associations pallient aux lacunes des fabricants, comme la Bibliothèque des objets de Montreuil. C’est aussi là que se joue la sobriété.
C’est le génie de la réparation, rien ne lui résiste », sourit Delphine, qui repart avec son vélo fraîchement réparé. Une autre femme s’avance à son tour vers Michel, qui remonte ses lunettes. À 61 ans, cet ancien employé du monde de la communication a opéré une reconversion à 180 degrés : il est devenu réparateur d’objets en tous genres et officie à la Bibliothèque des objets de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le lieu a ouvert en avril dernier dans les locaux d’un ancien centre de santé municipal. (...)
C’est aujourd’hui un genre particulier d’atelier qui est proposé : la coréparation. Le principe : réparer un objet défectueux en présence du propriétaire, moyennant une adhésion à la Bibliothèque des objets (entre un et dix euros selon les revenus) et un tarif libre aux frais de chacun après réparation.
« On arrive à réparer 70 % des objets »
En somme, deux cerveaux, un objet, et beaucoup de patience. De quoi initier les plus frileux à réparer leurs équipements du quotidien. La quantité de déchets électriques et électroniques ménagers rejetés par habitant avoisinait les 11,6 kilos en 2019, selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), soit 779 785 tonnes de déchets. Réparer plus est bon pour la planète comme pour le portefeuille : cela permettrait de jeter moins et d’économiser l’achat d’un appareil neuf – ainsi que l’énergie pour le produire.
L’organisme public qu’est l’Ademe multiplie d’ailleurs les documentations en faveur de la réparation, parmi lesquelles un « guide d’initiation à la réparation ». L’agence accompagne également les chambres de métiers et de l’artisanat avec l’élaboration d’un annuaire des réparateurs à partir d’un label dédié (Répar’acteurs). (...)
. À l’entrée du local de Montreuil, une initiative appelée « Regenbox » permet de vérifier si vos piles alcalines classiques sont réutilisables, et de les recharger gratuitement (nul besoin d’être rechargeable pour cela).
« Ça me fait mal au cœur de voir des objets jetés dans la nature. Pourtant, c’est souvent facilement réparable, à condition d’avoir les bons outils, souligne Michel. Ici on arrive à réparer 70 % des objets. Un fil détaché, un fusible fondu, une perte de contact, c’est souvent peu de chose et on leur donne une seconde vie. » À force, le bricoleur a pu constater les astuces des constructeurs pour rendre les objets irréparables, des « petites choses qui font que les appareils sont piégés ». « Parfois, on ne peut pas les ouvrir parce qu’il faut des outils très spécifiques, explique-t-il. Pour d’autres, comme dans les tours d’ordinateur, des pièces sont soudées ou sont devenues difficiles d’accès. »
Même avec persévérance et volonté, la réparation a donc parfois ses limites. « Une bouilloire est plus simple à réparer qu’une machine à laver », résume Sylvain Mustaki. L’atelier de Michel s’occupe seulement du petit électroménager.
Des indices pour mesurer si un appareil est réparable (...)
En France, certains appareils sont dotés d’un indice de réparabilité depuis l’entrée en vigueur de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) le 1er janvier 2021. Cet indice prend la forme d’une note sur 10 établie par le fabricant. Il est défini selon différents critères élaborés par le ministère de la Transition écologique. Parmi les éléments pris en compte, il y a la documentation technique, la disponibilité des pièces, mais aussi la démontabilité ou encore le prix des pièces détachées. La mesure est restreinte à cinq types d’équipements : lave-linge à hublot, téléviseur, ordinateur portable, smartphone et tondeuse à gazon électrique. Elle devrait s’étendre à quatre autres catégories (autres types de lave-linge, lave-vaisselle, aspirateur, nettoyeur haute pression) dès le 4 novembre prochain. (...)
C’est à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d’effectuer les contrôles de l’indice de réparabilité. La sanction en cas de non-respect de l’obligation d’information n’est pas très dissuasive : elle est passible depuis le 1er janvier 2022 d’une amende qui peut aller jusqu’à 3000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une entreprise.
En 2021, la DGCCRF a réalisé une enquête sur la fiabilité des informations communiquées aux consommateurs avant l’entrée en vigueur des sanctions. Sur 329 établissements contrôlés, les autorités ont constaté que plus de la moitié ne respectaient pas les exigences de l’indice de réparabilité (absence d’affichage, mauvaise couleur du pictogramme), « et ce, qu’il s’agisse de magasins physiques ou de sites internet. » À l’époque, ces derniers avaient été notifiés d’un simple rappel à la réglementation. Ils peuvent aujourd’hui être sanctionnés. (...)
« Est interdite la pratique de l’obsolescence programmée qui se définit par le recours à des techniques, y compris logicielles, par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie. » (...)
Désormais les sanctions pénales pour les pratiques d’obsolescence programmée s’élèvent à deux ans d’emprisonnement et une amende de 300 000 euros. L’association Hop n’est pas étrangère à la reformulation de la loi. Pour elle, la question de l’encadrement juridique est un enjeu vital dans la lutte contre le phénomène. (...)
En 2017, l’association Hop avait par exemple déposé plainte contre Apple, qui s’est soldée par une victoire en demi-teinte. (...)
Les choses avancent aussi à l’échelle européenne. En mars 2022, la Commission européenne a notamment rendu publique une proposition de directive pour « renforcer la protection des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales qui empêchent les achats durables telles que les pratiques d’obsolescence précoce ». Il faudra encore attendre un moment pour que le projet se transforme en une législation applicable dans tous les pays de l’Union européenne. Les choses vont plus vite dans l’atelier de Michel. (...)