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Regarder les ordinateurs travailler
Article mis en ligne le 1er mars 2017
dernière modification le 22 février 2017

Retranchés derrière leur écran, les agents de la Sécu se demandent où est passé l’humain. Dévouée aux algorithmes de l’hydre numérique, la protection sociale se « bigbrotherise » à pas feutrés. Un travailleur témoigne.

Ça remonte à quand le jour où nos écrans cathodiques de 17 pouces ont été remplacés par des écrans plats ? Six, sept ans ? Plus ? Je les revois encore ces massifs engins, bombés sur le devant et au cul profond. Pour les caler sur les bureaux, fallait prévoir la place. Et rien que pour les bouger d’un poil, on risquait la hernie discale tellement ils pesaient leur poids. Puis, un jour sont arrivées des espèces de limandes cybernétiques. Confort visuel, maniabilité : le petit peuple de la Sécu était sommé de s’esbaudir devant cet énième bond en avant numérique. L’impression de bosser le nez collé à un aquarium où les icônes figureraient la poiscaille colorée de quelque mer Caraïbe. Fallait voir les mirettes des agents tout fascinés par ce Noël de burlingue. En fond d’écran, on mettrait bien quelques photos des gosses ou des dernières vacances, histoire de faire un petit chez nous de ces cristaux liquides. Comme à la maison. Surtout que la magnanimité de la Caisse nationale d’assurance maladie ne s’arrêta pas en si bon chemin : dans la foulée, on nous gratifia d’un second écran. Un pour chaque œil, à nous les régals du strabisme divergent. Côté pratique : si tu peux pas piffer le collègue en face, tu montes un mur avec les deux énormes LCD et la tronche du pénible disparaît. (...)

les différents outils pour fliquer les assurés sociaux s’étaient tellement multipliés qu’on n’avait pas trop de deux écrans pour jongler avec. Accès à des bases de données de plus en plus invasives, à des documents dématérialisés — de l’arrêt de travail numérisé par une caisse primaire, à l’ordonnance scannée par le pharmacien —, en passant par les historiques de « consommation de soins ». Il fallait permettre aux agents de gérer un tel pullulement d’interfaces et de gagner en efficience, puisque désormais le terme « rentabilité » n’était plus proscrit à la Sécu (...)

Ce management par les chiffres ne pouvait que faire la part belle aux algorithmes et déposséder toujours un peu plus les agents de leurs derniers savoir-faire. Selon des rythmes réguliers, des requêtes informatiques sont lancées, produisant des kilomètres de données au sein desquelles on trouvera des listes d’assurés à convoquer, des situations médico-administratives à étudier, des médecins à rencontrer pour leur apprendre à lever le stylo sur certaines prescriptions (dans le privé on appellerait ça du lobbying). Ce sont désormais les machines qui impulsent le rythme du travail, (...)

Tu vois cette endive impassible devant son écran ? Elle regarde son ordinateur travailler tout seul pendant des heures. C’est un tout nouveau logiciel. Les collègues, quand ils rentrent dans son bureau, tu sais ce qu’ils disent ? « C’est magique. »